Recherche
Chroniques
Concert de clôture par le Quatuor Modigliani et les
Quatuors Alikone, Arod, Barbican, Chaos, Confluence, Hermès et Leonkoro
Le concert de clôture de la Biennale de quatuors à cordes que, pour la onzième fois, propose la Philharmonie de Paris, est confié au Quatuor Modigliani qui signait avant-hier une soirée dont toujours l’on se souviendra [lire notre chronique du 19 janvier 2024]. Cet ultime rendez-vous est ouvert par une interprétation au lyrisme confondant du Langsamer Satz conçu en 1905 par un Anton von Webern de vingt-deux ans, dans une facture postromantique généreuse qui se nourrit de l’Opus 4 (1896) de son aîné Alexander von Zemlinsky et surtout de Verklärte Nacht (1899) de son futur maître Arnold Schönberg. Amaury Coeytaux et Loïc Rio (violons), Laurent Marfaing (alto) et François Kieffer (violoncelle) n’en livrent pas d’emblée la fougue, plus présente dans le frémissement et la couleur que dans le mouvement lui-même ou sa nuance. La tendresse semble le mot d’ordre de leur approche qui peu à peu invite une ferveur délicatement obombrée. Doloroso, le geste évolue dès lors vers la sérénité, voire le recueillement, l’exécution s’achevant dans une extinction paisible autant que raffinée.
Après avoir été à la tête des Rencontres musicales d’Évian plusieurs années durant, le Quatuor Modigliani dirige (outre le Festival de Saint-Paul-de-Vence et le Festival d’Arcachon dont il est le fondateur) depuis 2020 Vibre !, festival dans lequel s’inscrit tous les deux ans le Concours international de quatuors à cordes de Bordeaux. La proximité qui s’ensuit avec les jeunes musiciens se complète depuis l’automne dernier des charges d’enseignants assumées par chacun de ses membres à l’École normale supérieur de Paris. Aussi ne s’étonnera-t-on pas vraiment de les voir s’associer le Quatuor Leonkoro, lauréat de concours précédemment cité, pour donner ensemble l’Octuor en mi bémol majeur Op.20 d’un compositeur adolescent, Felix Mendelssohn qui comptait seize printemps lorsqu’il le couche sur la portée et en fait présent à son professeur de violon. Aux musiciens s’ajoutent donc les violonistes Jonathan Schwarz et Amelie Wallner, l’altiste Mayu Konoe et le violoncelliste Lukas Schwarz, dans une lecture divinement déraisonnable. Ainsi l’Allegro moderato s’élève-t-il dans une gloire que ne déjoue en rien la survenue de savoureuses finasseries, dans un tressaillement jubilatoire inouï. La subtilité du jeu d’Amaury Coeytaux est à l’honneur dans ce quasi-concerto pour violon et septuor à cordes qui n’a de cesse de chanter et chanter toujours. Voilà qui n’entrave pas un passage en apesanteur, aux confins du sonore, avant la virevolte qui relance le thème dont la fraîcheur semble ne pouvoir jamais s’épuiser. 1825, c’est huit ans avant la naissance d’un certain Johannes Brahms auquel l’Andante de l’Octuor a légué bien des choses. La gravité toute relative qui le caractérise prend ici tour de bouderie à susceptibles froncements de sourcils, mais point pour longtemps. C’est dans une effervescence discrètement bondissante que surgit l’Allegro leggerissimo où nous est communiquée une vraie joie à jouer cette œuvre, c’est indéniable, que le Presto final ne saurait contredire.
Passé l’entracte, six autres équipes de quartettistes gagnent le plateau avec leurs huit confrères. Il s’agit des Quatuors Alikone, Arod, Barbican, Chaos, Confluence et Hermès, donc des violonistes Omer Bouchez, Lorraine Campet, Magdalēna Geka, Eszter Kruchió, Kate Maloney, Susanne Schäffer, Jordan Victoria, Alexandre Vu, et Amarins Wierdsma, des altistes Pierre-Antoine Codron, Sara Marzadori et Christoph Slenczka, enfin des violoncellistes Bas Jongen et Yoanna Prodanova. Les modiglianesi, si je puis dire, ont décidé de jouer à l’orchestre à cordes le Quatuor en sol mineur Op.27 n°1 d’Edvard Grieg (1878) tel quel, en distribuant les quatre parties à pupitres inégaux et en doublant celle de violoncelle par deux contrebasses afin de mieux asseoir l’harmonie sans pour autant écraser le muscle : Yann Dubost et Édouard Macarez, que l’on entend souvent et avec plaisir lors des concerts de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, tel le programme Péter Eötvös de jeudi soir [lire notre chronique du 18 janvier 2024], assoient avec avantage le socle grave de la formation. On est surpris par l’ampleur de cette version pour vingt-quatre instruments dont la présente exécution ne sacrifie pas la tonicité, avec un bref passage en strict quatuor pour la subtilité de la nuance. Le bel enthousiasme de la salle est récompensé par le délicieux Plink Plank Plunk (1951) du compositeur étasunien Leroy Anderson (1908-1975) qui couronne ce moment dans la bonne humeur !
BB