Chroniques

par laurent bergnach

concert de la master class Péter Eötvös
œuvres d’Adams, Eötvös et Murail

ManiFeste / Ircam, Paris
- 10 juillet 2014
Cinq stagiaires de la master class Eötvös jouent Adams, Eötvös et Murail
© dr

Durant ces derniers jours, cinq jeunes chefs supervisés par Péter Eötvös ont répété le dernier concert orchestral de ManiFeste, en compagnie des élèves du Lucerne Festival Academy Orchestra, ceux du CNSMD de Paris – dont certains firent une apparition soliste lors d’une soirée de musique mixte, au Studio 5 [lire notre chronique du 8 juillet 2014] – ainsi que des membres de l’Ensemble Intercontemporain, intervenant dans l’encadrement comme dans le spectacle. Le pédagogue du jour eût lui-même Stockhausen et Boulez comme maîtres successifs ; du premier il retint l’habitude de s’interroger sur l’acoustique de chaque lieu abordé, du second la capacité de réagir tout de suite face à une formation en difficulté.

Son œuvre pour cinq instruments et bande stéréo, Intervalles-Intérieurs (1982), est la première au programme [lire notre critique du CD]. Sa composition remonte à la décennie d’exploration qui précède, lorsqu’Eötvös était assistant auprès du créateur de Gruppen [lire notre critique du CD]. Si elle ne présente pas de difficulté majeure aux solistes de l’EIC, elle nécessite en revanche un chef soucieux de synchronicité entre ces derniers et la bande qui livre toute une palette de vrombissements, grésillements et coassements divers. La partition est donc idéale pour qu’intervienne à tour de rôle chacun des chefs stagiaires de l’académie : Jordi Francés Sanjuán (né en Espagne, en 1982), William Kunhardt (Royaume-Uni, 1989), Nicolas Agullo (Argentine, 1985), Edo Frenkel (États-Unis, 1988) et Arash Yazdani (Iran, né en 1981). L’auditeur peut ainsi comparer les différents effets sonores liés à diverses postures – dos et genoux plus ou moins fléchis, coudes collés aux côtes ou agités par des bras élastiques, nuque sujette ou non au swing, etc.

Deuxième commande de l’Ircam à Tristan Murail, L’esprit des dunes (1994) est dédié à la mémoire de Scelsi et de Dali. La pièce se fonde sur deux groupes d’objets sonores : extraits de musiques mongoles et tibétaines d’un côté (chant diaphonique, trompe, etc.), sons granuleux de l’autre (polystyrène, maracas, bâton de pluie, etc.). « Grâce aux techniques de microchirurgie du son, de distorsion des fréquences, de modification des formants, etc., explique le compositeur français, ces objets sonores d’origine apparemment disparates finissent par s’interpénétrer, par fusionner, créant la continuité sous-jacente qui unifie la surface contrastée et versatile de la musique ». S’appuyant sur un climat nettement oriental et sur la vibration percussive (cymbales, triangle, plaque de métal, gong parfois recouvert d’un tissu, etc.), L’esprit des dunes ouvre les espaces magnifiques du voyage et du rêve. De plus, ce sont nos chefs préférés, Yazdani et Agullo [photo], qui en assurent la direction partagée.

Évoquant « le choc de l’évidence » dont parlait Melville, John Adams a le déclic de Chamber Symphony (1992) alors qu’il étudie l’opus éponyme de Schönberg et que son fils regarde des cartoons dans une pièce voisine. Le travail du Viennois lui donne la réponse pour marier la masse symphonique à la transparence et à la mobilité de la musique de chambre, tandis que « la bande musicale hyperactive, insistante, agressive et acrobatique des dessins animés » lui inspire une musique tout à la fois « flamboyante, virtuose et polyphonique ». Une ambiance résolument fifties se dégage de trois mouvements brassant allégrement Stravinsky, Bernstein et Gershwin, qui ravit par sa virtuosité plus que par son impact esthétique. Il est d’ailleurs à parier que les trois stagiaires en présence eurent à relever le défi rythmique. Ainsi se clôt la nouvelle édition de ManiFeste dont l’étalement des rendez-vous aura évité le marathon épuisant de ce type de festival.

LB