Chroniques

par gilles charlassier

Concertos brandebourgeois
Les Inventions et Patrick Ayrton

Bachfest 2011 / Opéra de Dijon, Auditorium
- 17 avril 2011

Après le sérieux et le recueillement de la Passion selon Saint-Matthieu [voir notre chronique du 15 avril 2011], c’est au versant plus profane du génie de Bach que ce concert du dimanche fait honneur. Les six Concertos Brandebourgeois écrits pendant les années passées à Köthen sont dédiés au Margrave de Brandebourg. Bien que dépourvu d’intention systématique, le recueil présente l’ensemble des formes disponibles pour le genre concerto. Prenant acte du fait que la collation des six partitions n’obéit à aucune architectonique définie, Patrick Ayrton et son ensemble Les Inventions proposent un parcours qui fait contraster les formations et les dispositions de pupitres, tantôt assis, tantôt debout en arc-de-cercle autour du chef, fidèle en cela à l’esprit de variété qui a inspiré le compositeur dans son offrande.

L’ouverture se fait avec la lecture, lumières tamisées, par Simon Eine (sociétaire honoraire de la Comédie Française) de la dédicace rédigée par Bach au Margrave. Le mouvement initial du Concerto en fa majeur BWV 1047 n°2 réunit un effectif large. Le procédé d’écriture est une démonstration virtuose de la manière du concerto pour instruments solistes. L’Andante central contraste avec son trio d’amour pour hautbois, flûte et basson, soutenu par un clavecin discret. L’Allegro assai final conclut brillamment ce concert royal qui est comme un épitomé de couleurs qu’une formation chambriste peut offrir. Et ce ne sont pas les saveurs qui manquent à l’interprétation proposée, qui font entendre un plaisir évident de la part des solistes, que la rigueur rythmique voulue par le chef ne bride nullement. Le Concerto en ré majeur BWV 1050 n°5 est, quant à lui, un véritable concerto pour clavecin, l’instrument de Bach. La hiérarchie entre les pupitres est ici nettement plus accusée que dans la partition précédente. La cadence du premier mouvement, Allegro, est jouée avec une certaine réserve, qui ne retire rien à la justesse du style, ornementé selon les habitudes interprétatives en vigueur au XVIIIe siècle. Après un Affetuoso délicat, le deuxième Allegro confie au soliste une partie virtuose en contrepoint de la ligne du tutti orchestral (les exemples d’une telle manière sont nombreux dans l’œuvre du cantor de Leipzig, des concertos pour violon à ceux pour clavier). Le Concerto en sol majeur BWV 1049 n°4 fait dialoguer les cordes et une harmonie emmenée par deux flûtes, donnant à la partition des allures pastorales. Les mouvements vifs – Allegro et Presto – chatoient dans leur tenue garnie d’ornementations riches et sérieuses, tandis que l’Andante central révèle une intériorité sincère.

Écrit pour deux altos, le Concerto en si bémol majeur BWV 1051 n°6 fait résonner un lyrisme chaleureux, relayé par le timbre rond des deux solistes. L’Adagio ma non tanto est un duo d’amour à la poésie élégiaque idiomatique du génie de Bach. Les lignes se mêlent l’une à l’autre selon une écriture presque vocale, comme dans les BWV 1043 et BWV 1060 (concerto pour deux violons, et concerto pour violon et hautbois, mais les partitions ont aussi été transcrites pour clavier). Les mouvements extrêmes, Allegro, ont les atours d’une virtuosité brillante. Le Concerto en sol majeur BWV 1048 n°3 tient en deux Allegro reliés par une brève Cadenza, Adagio. C’est le modèle du concerto grosso que le compositeur met ici en œuvre. Les instruments vont par trois, la voix passant d’un soliste à l’autre au sein des pupitres. Avec ses inflexions harmoniques, la circulation thématique fait l’homogénéité de la partition – une exigence qui rencontre cet après-midi des officiants fidèles et sensibles. Refermant le recueil avec la même opulence qu’à l’ouverture, le Concerto en fa majeur BWV 1046 n°1 fait appel à deux cors et trois hautbois. La pièce aux rutilances rustiques insère un Adagio entre deux Allegro et conclut avec une série de danses – Menuets et Trio, avec une Polonaise légère. C’est avec cette pompe pleine d’allégresse que le cycle s’achève.

La veille, Brice Pauset, artiste en résidence à l’Opéra de Dijon, donnait un récital l’après-midi dans le Foyer du Grand-Théâtre, introduisant les trois œuvres exécutées par une succincte présentation. La Suite XX de Johann Jakob Froberger, prédécesseur de Bach, s’ouvre sur une Méditation, faite sur ma mort future laquelle se joue lentement avec discrétion, page à la facture rythmique libre, contrastant avec les trois danses qui suivent – Gigue, Courante et Sarabande. Après la Sonate en la mineur BWV 965 dans laquelle Bach a réutilisé le matériau de la Sonata prima de l’Hortus Musicus de Johann Adam Reincken, la Première Suite d’Antoine Forqueray, transcrite de la viole de gambe pour clavecin, clôt ce goûter musical. Le soir, Brice Pauset jouait dans la salle du Grand-Théâtre l’Art de la Fugue.

GC