Chroniques

par françois cavaillès

Contes de la lune vague après la pluie
opéra de chambre Xavier Dayer

Opéra Comique, Paris
- 18 mai 2015
nouvel opéra de Xavier Dayer : Contes de la lune vague après la pluie (2015)
© vincent pontet

Il était une fois la belle vogue des films-opéra, quand le cinéma s'est emparé de grandes œuvres lyriques, comme Les contes d'Hoffmann, Carmen et Don Giovanni, diversement adaptées au grand écran en soulevant souvent de très intéressantes questions de sens. Le temps est passé et l'industrie cinématographique est devenue la risée de l'opéra (en gavant le public d'enfantillages, par exemple la 3D). L'heure est donc venue d'inverser les rôles ! Depuis peu, de rares succès de cinéma, tels Il postino et Brokeback Mountain [lire notre critique du DVD], donnent des opéras... Mais attention, c'est un vilain tour qui est joué car, en général, l'inspiration part en fumée.

Ainsi tout dernièrement, l'opéra de chambre Contes de la lune vague après la pluie est né du film japonais du même nom, Lion d'argent à Venise en 1953. Ces quelques contes animés par des esprits typiques de la culture populaire asiatique proviennent en fait de la littérature du XVIIIe siècle : on les trouve dans le recueil Contes de pluie et de lune écrit par Ueda Akinari et publié en 1776.

Sur la scène de l'Opéra Comique, deux mois après sa création à Rouen, on retrouve dans la musique de Xavier Dayer l'ambiance fantastique et la poésie médiévale japonaise du récit, mais les personnages, à grands traits tirés du film, paraissent inexistants. D'entrée de jeu, à la découverte d'un enfant jouant tranquillement puis du village, encore calme, des deux jeunes couples piliers de l'intrigue, l'orchestre prend subtilement le pas sur le drame. L'ensemble Linea jette le public dans un chaos d'une grande clarté qui, paradoxalement, précède la guerre. Sur le plan musical, l'influence japonaise transparaît surtout dans les percussions, très justes (gong) bien que plus rares et discrètes que dans le théâtre d’origine.

La partition de Dayer, compositeur particulièrement habile dans la création d'opéras de chambre, est épousée pour le meilleur, avec parfois un grand art de la légèreté, par la formation strasbourgeoise et par des chanteurs au départ fort typés, chacun versé dans un rôle en fonction de sa tessiture. L'absence d'airs ne signifie pas musique strictement contemporaine, et le manque de lyrisme, accentué par le recours occasionnel au parler, n'empêche pas l'évocation de Debussy, parfois, et la création de brefs mais riches climats émotionnels variés, tantôt angoissants, annonçant le brouillard et la rencontre de mauvais présages, tantôt sensuels, dans une scène érotique assez convenue. La direction de Jean-Philippe Wurtz [lire notre entretien de septembre 2004] dégage, par de courtes plages tour à tour inquiétantes, parlantes, sautillantes ou crépitantes, la force dramatique qui manque à la mise en scène. La réussite scénique réside dans les lumières, impressionnantes de contrastes, plutôt que dans le décor monotone, sans trace du Japon, et les mornes costumes.

Parmi les interprètes, le soprano Judith Fa est grand d'expressivité, de fougue et d'une voix toujours saisissante et agréable, incarnant la femme japonaise simple mais héroïque. Dans le rôle de l'autre villageoise, le mezzo-soprano Majdouline Zerari, qui paraît naturellement plus timorée, sait faire évoluer le personnage au travers de l'épreuve. Leurs conjoints, le baryton Taeill Kim et le ténor argentin Carlos Natale, sont brillants, tandis que le soprano brésilien Luanda Siqueira donne à la princesse Wakasa son fort pouvoir ensorceleur. Enfin, le ténor David Tricou fait valoir toute sa polyvalence en tenant bel et bien six rôles secondaires.

En dépit de tous les efforts et les soins des chanteurs, ces présences physiques et vocales ne créent pas les êtres humains, libres de leur destin ou possédés par des esprits, tant espérés en tout cas à la mention d'une lune vague après la pluie (l'heure du fantastique...). Les deux brèves histoires de fantômes se recoupent et se dénouent très mal – en reposant peut-être trop sur le postulat cinématographique ? Le livret semble court, plus enclin au pathétique qu'aux signes pourtant cruciaux du surnaturel, et même parfois absurde (« Bouddha, prenez pitié de nous ! »). Il conclut à une pénible recherche de moralité, marquée par une question abominable : « mais la vie est ainsi, n'est-ce pas ? ».

FC