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Chroniques
Contrechamps
œuvres de Roland Moser et Arnold Schönberg
D'emblée, on se plait à remarquer le cadre insolite de la salle d'armes du Musée d'art et d'histoire de Genève qui accueille le quintette à vents de l'Ensemble Contrechamps. La multitude d'épées damasquinées, mousquets et hallebardes forment un arrière-fond visuel malicieusement décalé avec la machinerie instrumentale complexe qui se déploie au centre de la pièce.
Une inversion de programme donne la primauté à la musique de Roland Moser. Peu connu de ce côté-ci des Alpes, on relève que le compositeur suisse fréquenta, aux côtés de Jurg Wyttenbach et Heinz Holliger, le cours de composition de Sándor Veress à l'université de Berne. Son œuvre est marquée par la réflexion autour de grandes figures de la musique romantique et des grands cycles, en particulier ceux de Franz Schubert. Ses énigmatiques Kleine Differenzen über einem Grund (Petites différences sur une base, 2005) se présentent sur le modèle de onze variations pour quintette à vents.
À la différence du schéma classique thème et variations, le thème mélodique est enchâssé au centre de la pièce, joué par la clarinette basse et la flûte alto. Le caractère très libre des propositions ne se saisit pas immédiatement comme faisant partie d'un vaste ensemble organisé en variations autour de cette cellule centrale. Le parcours d'écoute s'effectue à la manière d'un cahier d'esquisse qu'on feuillette, sans que la succession fasse apparaître une structure logique englobante. La pluralité des atmosphères se base sur deux systèmes d'intonation distincts, celui des harmoniques naturels et celui de la gamme ordinaire en demi-tons bien tempérés. La phrase alambiquée du basson solo ouvre les débats entre des lignes de force, tantôt resserrées, tantôt détendues.
Les frottements harmoniques qui résultent de plusieurs combinaisons instrumentales produisent toute une gamme de battements. Sans l'aspect théorique qui pourrait la contrarier, l'écoute s'organise autour de ce tableau élémentaire comme autant de dosages et précipités chimiques. Le passage d'une variation à l'autre ne crée pas la cohérence suffisante qui permettrait de concentrer l'attention sur un horizon d'attente défini.
Œuvre de haute virtuosité, l'impressionnant Quintette à vents Op.26 (1923) d'Arnold Schönberg inaugure la liste des compositions intégralement dodécaphoniques du Viennois. Contrairement à la pièce précédente – exposée involontairement comme point de référence immédiat –, l'afflux et la saturation du discours produisent un effet de détachement et de concentration presque immédiat. Sans pouvoir toutes les saisir, les phrases se superposent en un agrégat continu qui finit par dégager une pulsation interne quasi magnétique, malgré la complexité des renversements, transpositions et lectures rétrogrades. Thèmes et phrases rythmiques retrouvent une logique qu'on pourrait dire « tonale », malgré l'inventivité inouïe de l'idiome sériel. L'organisation qui séquence la pièce en quatre mouvements traditionnels (Animé – Scherzando – Un peu lentement – Rondo) disparaît sous les strates accumulées en trompe-l'œil par le poids du contrepoint. La précision des interventions solistes – notamment le jeu du flûtiste Sebastian Jacot et du corniste Olivier Darbellay [photo] – donne à l'ensemble une pureté d'intonation et une luminosité virtuose qui participent à un plaisir total.
DV