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Chroniques
Così fan tutte | Ainsi font-elles toutes
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Le premier spectacle à connaître les avantages de la nouvelle scène rouennaise (dont toute la cage vient d'être avantageusement rajeunie) est le Così fan tutte que Philippe Sireuil réalisait pour l'Opéra de Rennes, il y a tout juste trois ans. En se gardant bien d'ingurgiter une tradition le plus souvent mièvre qui use de ficelles mal tissées, sa mise en scène est pétrie de mains d'homme de théâtre, n'hésitant pas à bousculer des habitus injustifiables – celui d'enchaîner coûte que coûte les répliques des récitatifs, en dépit du sens et de la situation, par exemple. En construisant avec soin chaque personnage, en les plaçant dans un espace aux multiples possibilités de jeu, il occupe le plateau d'une vie férocement drôle où tout geste paraît soudain plus « naturel » – si tant est que ce mot ait ici un sens.
Le décor unique de Didier Payen consiste en une structure symétrique dont le cadre central ouvre un ciel baroque. D'évidence, l'action se déroule dans une station balnéaire avec cabines, galeries, jetée et passerelle, qui bientôt se fera bateau et théâtre. Outre le génie d'un tel dispositif, stimulant notre imagination comme celle des acteurs, on goûte sa belle réactivité à la lumière, tant pour la toile de fond que pour les arrondis des galeries qui boivent tendrement les demi-teintes. Ce plateau est une réussite sur tous les plans, l’esthétique n'étant pas des moindres.
Si, grâce à leurs remarquables prouesses d'acteurs, tous les éléments de la distribution contribuent largement au succès de ce Così, les voix convainquent moins. Le chant souvent trop droit, les piani systématiquement détimbrés, le manque de caractère du timbre de James Oxley, par ailleurs irréprochable quant aux questions de phrasé et de style, impose un pâle Ferrando qui fait la paire avec le terne Guglielmo de Boris Grappe, plutôt sonore et même musical mais uniquement par à-coups, ne parvenant pas à lier vraiment et durablement la pâte vocale. À l'inverse, saluons le legato irréprochable des deux héroïnes, tout en émettant quelques réserves quant au grave éteint de Guylaine Girard (Fiordiligi) et à la stabilité incertaine de Patricia Fernandez (Dorabella). On s'en doute, ces ingrédients ne vont pas au bénéfice des ensembles.
En revanche, les arlequins de la farce ravissent l'oreille.
La riche couleur, la grande expressivité, nourrie par une promptitude toute personnelle à varier les effets, l'égalité de l'impact vocal et la présence de Virginie Pochon campent une Despina truculente autant qu'irrésistible. Barbon désigné par un costume lourdement démodé par rapport aux autres personnages, vieux matou au sourire discrètement sournois coiffé tel un persan noceur qui ne sait plus le chemin du toilettage, Éric Martin-Bonnet incarne un Don Alfonso exquisément pervers, voire sympathique de noirceur. Insinuant d'élégants sotto voce relevés çà et là de passages à la fermeté plus affirmée, la maîtrise de son chant finement nuancé se révèle toute dévouée au théâtre.
En fosse, Oswald Sallaberger conduit une lecture leste, volontiers à l'emporte-pièce, en accord avec ce qui se passe sur scène, d'une sècheresse à peine attendrie par l'usage de cordes en boyau (une particularité de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen qui, désormais, n'utilise de cordes en métal qu'à partir du répertoire romantique), où l'on remarque les soli soignés des bois (le basson, en particulier). On apprécie également la tendre couleur du pianoforte, loin de la froide neutralité du clavecin.
BB