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Chroniques
création d’Apocalypsis d’Édith Canat de Chizy
Les Métaboles, Orchestre national de Metz, David Reiland
À la lecture du programme du concert d’ouverture de saison de l’Orchestre national de Metz, on ne peut que se réjouir d’y voir la création contemporaine retrouver une place que les saisons symphoniques n’auraient jamais dû abandonner, et qui est désormais redevenu la norme – même si parfois l’œuvre nouvelle se réduit à un apéritif-prétexte. La commande passée à Édith Canat de Chizy par la Cité musicale de Metz, où la phalange de la métropole lorraine a ses quartiers, ne se limite pas à l’anecdote et permet également de mettre en avant un ensemble en résidence dans la structure messine, Les métaboles, ensemble fondé par Léo Warynski, qui a récemment célébré son dixième anniversaire (et reçu un prix du Syndicat de la Critique).
Inspirée par le livre éponyme de la Bible, Apocalypsis, cantate pour chœur et orchestre, propose une méditation sur ce thème eschatologique qui s’appuie, en plus de Saint Jean, sur des textes d’Hildegard von Bingen et de Nostradamus. Elle est déclinée en huit parties et trois langues – français, anglais et latin – « variant ainsi la sonorité des phonèmes », selon l’intention de la compositrice retranscrite dans la brochure de salle. Si la pièce a été conçue dans le cadre de la célébration des huit cents ans de la Cathédrale Saint-Étienne de Metz, l’épreuve de la pandémie et des confinements pendant lesquels le hasard en a placé l’écriture n’a pu manquer d’y apporter une résonance singulière.
La première partie enchaîne quatre séquences – Prologue, Visio, 666 et Sept coupes – dans un flux vocalique, en une immersion quasi rituelle, ponctuée par une pulsation orchestrale contrastée, sous la houlette vigilante de David Reiland [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Cinq-Mars, Symphonie en sol mineur n°1 de Méhul, Les contes d’Hoffmann, Messa da Requiem de Verdi, La sirène, Faust et Le Giaour]. Préparés par Denis Comtet, les pupitres des Métaboles affirment un chatoiement de couleurs et une précision des intonations qui donneront leur pleine mesure dans la seconde partie, initiée par Babylone, décrivant la chute de la cité, et dans laquelle le verbe et les épisodes seront scandés de manière nettement plus différenciée. Nimbé dans un halo poétique, le compte à rebours du Septième sceau « fait allusion au nombre 19 de la Covid » et conduit au silence évoqué par L’Apocalypse, avant l’entropie lumineuse de Revival et Maranatha, conclusion qui introduit la version hébraïque de la caritas célébrée dans cet envoi mystique.
Après cette création magistrale, le prolongement de la mise à l’honneur de la musique française élit le foisonnement de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, et déploie ainsi un kaléidoscope varié mais non hétéroclite. Le poème symphonique de Reynaldo Hahn, Nuit d’amour bergamasque (1897), peut dérouter par sa facture formelle assez relâchée et sa palette orchestrale clairsemée, avant de laisser deviner une unité articulée autour de l’ondoiement suggestif de quelques motifs, aux saveurs séduisantes quoiqu’un peu sucrées, que ne méprisent point les musiciens messins.
Au retour de l’entracte, le Concerto pour piano en sol mineur Op.22 n°2 (1868) de Saint-Saëns participe de la commémoration du centenaire de la disparition du compositeur, et laisse s’épanouir la complémentarité entre la direction de David Reiland et le jeu de Louis Schwizgebel [lire nos chroniques de son CD Holliger-Liszt-Ravel-Schubert et du 1er mars 2014]. S’ouvrant sur un solo où se devine l’influence des improvisations à l’orgue, l’Andante sostenuto augural ne cède pas aux facilités ostentatoires. La sobriété et le calibrage de l’expression se confirment dans les discrets sourires mozartiens de l’Allegro scherzando autant que dans l’ivresse étourdissante du finale Presto, dans lequel le pianiste suisse s’abstient de tout cabotinage.
Enfin, le concert se referme sur l’un des plus admirables albums de voyage imaginaire du répertoire. Deuxième partie des Images de Debussy, Iberia (1905-1908) décline une série de vivantes cartes postales musicales restituées ici avec une appréciable fluidité, tant dans l’enchaînement des séquences que dans celui des timbres. Le premier épisode, Par les rues et les chemins, affirme une finesse pittoresque qui se prolonge dans les évanescences oniriques des Parfums de la nuit, avant Le matin d’un jour de fête amené attaca avec une appréciable souplesse, pour faire éclore progressivement la vitalité de cette conclusion chamarrée. Entre Apocalypse et hispanité fantasmée, l’Orchestre national de Metz défend admirablement les couleurs de la musique française d’hier et d’aujourd’hui.
GC