Chroniques

par gilles charlassier

création d’Incantation VII de Philippe Schœller
Alternance joue Hersant, Leroux, Maintz et Thomalla

Traiettorie / Teatro Farnese, Parme
- 12 novembre 2017
à Parme, création moniale d’Incantation VII de Philippe Schœller
© franck ferville

Initié en 1991, Traiettorie de Parme s'est, au fil des années, affirmé comme l'un des plus importants creusets de la musique contemporaine en Italie, et au delà. Avec treize concerts qui s'étalent du 20 septembre au 20 novembre, les chiffres de la vingt-septième édition parlent d'eux-mêmes : huit créations mondiales (de huit compositeurs différents naturellement), dont cinq commandes du festival et sept premières italiennes. À l'inverse de manifestations qui privilégient certains courants, le rendez-vous parmesan s'attache à donner une tribune à tout le spectre de la création savante, sans discriminer aucune sensibilité, fût-elle divergente de celle du fondateur et directeur artistique, Martino Traversa, lui-même compositeur qui, à titre personnel, avoue son affinité avec une approche héritée d'une certaine école française. Ce travail de défense de la musique d’aujourd’hui, qui désormais relève d'un véritable combat dans la péninsule, se prolonge par ailleurs avec une revue de recherche et de réflexion, Nuove musiche, à diffusion européenne, et dont un premier numéro sortit l'an passé.

Si trois concerts investissent le fabuleux Teatro Farnese, situé au Palazzo della Pilotta, les autres s'invitent dans l'admirable écrin de la Casa della musica, à l'exemple du beau programme présenté ce dimanche par l'ensemble Alternance, où le répons des œuvres résonne comme une explicitation du nom du festival, sous forme d'invitation au cœur de l'imagination chambriste contemporaine. Il s'ouvre sur Nachtgesang de Philippe Hersant, pour clarinette, violon, violoncelle et piano (1988). Hommage au romantisme allemand (comme l’induit son titre), la pièce déploie un onirisme extatique au parfum discrètement schumannien. Tressant des motifs au piano et aux cordes sur le chant de la clarinette, la page dément sans ambages le préjugé associant concentration et sécheresse intellectuelle – ses interprètes également.

Écrit pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano, Trawl de Philipp Maintz (2010, révisé en 2013) développe une autre vision de l'attente et de la dilatation temporelle. Arrimé à des cellules récurrentes au clavier qui le séquencent, le discours joue de ramifications thématiques virtuoses, idéales pour la précision chambriste, et n'hésite pas à moduler couleurs et registres, jusqu'à la texture du souffle pour la flûte – et, dans une moindre mesure, la clarinette [lire notre chronique du 17 février 2014]. Avec PPP (1993), Philippe Leroux donne une fascinante synthèse entre technicité étourdissante et narration mélodique, sans contraindre son inventivité à la polarité tonale. Accompagné par le piano en osmose de Jean-Marie Cottet, Jean-Luc Menet restitue de manière éblouissante une séduisante profusion qui fait vivre un instinct évident de la forme.

Après l'entracte, Moments musicaux pour flûte, clarinette, alto, violoncelle et piano (2004) d’Hans Thomalla reprend lui aussi une filiation germanique révélée par intermittence, comme un matériau mémoriel – emprunté à Brahms et Theobald Böhm (1794-1881). Mais l'approche ne se confond pas avec le pastiche fantomatique d'un Sciarrino : au fil des miniatures – autre référence à Schumann, osera-t-on remarquer – les éléments cryptés fonctionnent comme ingrédients d'une écriture délimitant un espace intimiste suspendu dans l'éther.

Philippe Schœller [photo] referme le concert avec trois pièces du cycleIncantations pour sextuor (flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano), commandé par Alternance en 1998. Le tourbillon de pizzicati et de valeurs brèves dans la V, d'une exécution redoutable qui n'effraie aucunement les instrumentistes de l’ensemble français, affirme une évidente ivresse cinétique. Les sortilèges de l'oreille ne connaissent aucun temps mort. La I frissonne de contrastes entre les souriants pépiements de tutti et des passages étales, dépliant ainsi une sorte de frise où respire une sensualité de textures ciselée par les solistes. On retrouve encore ce sens de la peinture sonore dans la VII (2017, donnée en création mondiale) qui, après la VI en 2003, prolonge le recueil. Imaginée avec dispositif électroacoustique condensé pour iPhone, l’œuvre enveloppe l'auditeur d’une spatialisation de poche et confirme la maîtrise inspirée du compositeur.

GC