Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Glass and stone de Clara Iannotta
portrait de la compositrice par l’EIC et Nicolò Umberto Foron

Festival d’Automne à Paris / Cité de la musique
- 11 octobre 2024
Concert monographique Clara Iannotta par l'Ensemble intercontemporain
© quentin chevrier

Quatre opus pour approfondir l’œuvre récente de Clara Iannotta ou pour la découvrir, voici le menu que propose ce soir l’Ensemble intercontemporain à la Cité de la musique, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. La précision du cadre n’a rien d’anecdotique : outre d’avoir été invitée par l’événement pour son édition 2018 [lire nos chroniques de paw-marks in wet cement (II) et de Clangs], la compositrice romaine en rejoint l’équipe où elle succède à Joséphine Markovits (1946-2024) au poste de Responsable de la programmation musique, occupé par cette dernière de 1976 à 2021, après qu’elle a contribué aux côtés de Michel Guy à la création du festival dont elle fut d’abord l’attachée de presse.

Avec le travail de l’artiste italienne, trois rendez-vous : I listen to the inward through my bones, installation conçue par Iannotta et Chris Swithinbank pour l’acoustique de l’église Saint-Eustache où elle est accessible du 7 au 18 octobre (tous les jours, sauf le dimanche ; entrée libre) ; la première de la nouvelle version d’une page orchestrale, strange bird – no longer navigating by a star, par l’Orchestre Philharmonique de Radio France que dirigera Markus Poschner (samedi 16 novembre, à la maison ronde, à 20h) ; enfin la présente soirée qui, en sus de deux créations françaises et de la naissance d’une version révisée, compte une première mondiale.

Qu’il s’agisse de dire ou de chanter un texte, qu’il s’agisse de s’inspirer d’un vers pour une partition qui le portera en titre, Clara Iannotta puise toujours dans l’œuvre de la poétesse irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004). Les quatre pièces inscrites au programme ne dérogent pas à ce principe. Ainsi de They left us grief-trees wailing at the wall pour neuf musiciens amplifiés (violon, alto, violoncelle, contrebasse, deux clarinettes, guitare électrique, piano et percussion) et électronique, écrit en 2020 et créé par le Riot Ensemble, à Vienne lors du festival Wien Modern, 13 novembre 2020, dont nous abordons aujourd’hui la création de la nouvelle version (2024). Le voyage sonore de cette « étude sur le rythme, dans un échange entre intérieur et extérieur d’un son », explique la musicienne (entretien avec Laurent Feneyrou, publié dans la brochure de salle), est généré par de multiples attaques glissantes, fondues dans des oxydations savantes du matériau timbrique. Les instruments font ici l’objet d’un usage inhabituel, vibrés sur des endroits plus ou moins insolites de leur corps ou à l’aide d’accessoires externes. Après douze minutes, que dirige Nicolò Umberto Foron, et à l’apogée de ce que l’on pourrait presque dire broyeuse électronique, tout s’arrête, geste STOP soudain que semble affectionner l’auteure.

Changement de plateau. S’y réunissent quatre officiants (sans chef), autour d’un piano, d’un clavier et de deux postes de percussion, devant l’écran déployé qui abritera deux séquences d’images montées. Donné en création mondiale, glass and stone est né « du désir de rapprocher nos univers sonores, de prendre des musiques qu’elle aimait et de les filtrer à travers mon corps, de trouver […] une approche qui soi mienne […] sur des éléments qui ne m’appartiennent pas » (même source) : elle, c’est la maman de Clara Iannotta [lire notre critique d’earthing], qui s’éteignit en janvier 2023. Tentative de réconciliation avec une mère qui « détestait ma musique » et hommage intime et secret avec une mère qui « m’adorait […] mais n’est jamais venue à un seul de mes concerts », l’œuvre convoque des images d’autrefois, puisées dans les souvenirs familiaux, et montrées via une écriture véritablement musicale du montage. Outre d’y deviner des visages, des situations, etc., il nous est donné d’y lire des phrases brouillées, à l’instar des bribes vocales de leur lecture, présentes dans la partie électronique. Passé une période sans images, elles reviennent pour la toute fin, elle aussi brutale, sur le même mode STOP au cœur d’un déroulé de quinze minutes qui, indéfiniment, pourrait durer, également friand de frottements divers (héritiers de Nono et de Lachenmann).

Passé l’entracte, nous entendons echo from afar (II), pour flûte, clarinette (si bémol), violon, violoncelle, piano, percussion et électronique, auquel l’ensemble hand werk donnait le jour à Cologne, le 29 novembre 2022. Ce sextuor non dirigé abonde lui aussi des frottements évoqués plus haut, tous les instrumentistes étant équipés de cymbales qu’ils font sonner à l’aide d’un archet, de même que la compositrice recourt volontiers aux bols chantants. Cette exploration sonore d’une dizaine de minutes provient de l’expérience du dispositif radiothérapique subie durant le traitement d’un cancer, en 2020. « Cette musique est traversée de sentiments et de pensées que je ne parviens pas à décrire en utilisant des mots », confie Clara Iannotta (ibid.), « le son advient quand les mots se montrent insuffisants ».

Ce portrait s’achève avec l’exécution, en création française, d’a stir among the stars, a making way (2019-2020), né sous la battue de Johannes Kalitzke au pupitre de Klangforum Wien, le 20 septembre 2020 à Innsbruck, dans le cadre du festival Klangspuren de Schwaz. Nicolò Umberto Foron mène cette fois un effectif de vingt-et-un musiciens, doté d’une guitare électrique et d’un accordéon, côtoyant un cassette player auquel on peut aussi suppléer par l’électronique. L’œuvre est issue de Moult pour orchestre, déjà présentée à nos lecteurs [lire notre critique du CD]. « Dorothy Molloy évoque une amie qui faisait une chimiothérapie […] et qui avait perdu un peu de ses cheveux. Et elle compare cette situation à des oiseaux qui perdent leurs plumes […] Les araignées muent. Leur corps ne leur permet pas de grandir et, pour grandir, elles doivent fabriquer un nouvel exosquelette […] Elles sortent de leur exosquelette pour en construire un autre… » – d’où l’idée de déplacer un opus ancien dans un nouveau, tel ce frémissement du titre, qui se fraie un chemin parmi les étoiles. Là encore, bols chantants et archets sur cymbales nourrissent pendant seize minutes la densité générale, de même que le STOP symptomatique des fins-Iannotta.

Au public venu écouter la musique de Clara Iannotta, précisons que l’ordre des œuvres ici jouées fut modifié sans que le Festival d’Automne à Paris publiât quelque erratum – de même toutes les durées indiquées sur la brochure sont-elles fausses. La succession annoncée était echo from afar (II), They left us grief-trees wailing at the wall, glass and stone et d’a stir among the stars, a making way, mais en réalité seule cette dernière était réellement en quatrième position, l’ordre qui la précéda étant They left us grief-trees wailing at the wall, glass and stone et echo from afar (II). À nos seules attention et concentration nous devons de n’avoir point égaré notre écoute.

BB