Chroniques

par nicolas munck

création de la Cantate n°4 de Bruno Mantovani
Accentus dirigé par Laurence Equilbey

Cité de la musique, Paris
- 20 octobre 2012
© eric flogny

Nouveau volet du cycle Hommages, cette soirée propose, par le truchement d’un copieux programme de motets de Johann Christoph Bach à Mendelssohn en passant par une création mondiale du prolixe Bruno Mantovani, une jolie révérence à l’écriture chorale du cantor de Leipzig. Sous la direction de l’excellente Laurence Equilbey, le chœur Accentus est accompagné pour l’occasion par les continuistes du Continuo Concerto Köln (Elisa Joglar, violoncelle ; Roberto Fernández de Larrinoa, violone ; André Heinrich, luth ; Christoph Lehmann, orgue), de la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton et de l’accordéoniste Pascal Contet (Cantate n°4 de Mantovani).

Exclusivement consacrée à l’arbre généalogique Bach (Johann Christoph Bach n’étant autre que le cousin germain du père de Johann Sebastian), la première partie du concert présente le motet à double chœur Lieber Herr Gott, wecke uns auf de Johann Christoph, ainsi qu’une série de quatre motets de Johann Sebastian : Ich lasse dich nicht, Lobet den Herrn alle Heiden, Komm, Jesu, Komm ! et Singet dem Herrn ein neues Lied. Construit sur une subtile variation entre double chœur à quatre ou huit voix, mêlant une écriture monophonique et polyphonique, ce groupement de cinq motets, magistralement conduits musicalement, permet de reconstituer avec beaucoup d’efficacité, à la manière d’une cantate en miniature, les caractères contrastés (prière intériorisée ou jubilation contrapuntique d’Alléluia fugués), un cheminement tonal cohérent aidant à percevoir cette première partie fragmentée comme un ensemble cohérent.

Quelques petites réserves nous viennent cependant à l’écoute de ce premier temps de concert. Avec des choix interprétatifs comparables à ceux d’Alejo Pérez à la tête de l’Ensemble Intercontemporain [lire notre chronique du 17 octobre 2012], Accentus donne à entendre un son global d’une incroyable « propreté ». Dans ce travail méticuleux de phrasés et d’articulations, chœur et continuo se trouvent fondus en un seul et même alliage. S’il est évident que la basse continue est, dans une certaine mesure, au service de l’écriture vocale, on pourrait néanmoins souhaiter que ce « son instrumental » puisse exister au sein du collectif. D’autre part, des oreilles habituées aux versions des cantates de Bach exécutées par des chœurs allemands pourront sans nul doute être déboussolées par cette qualité sonore presque discographique. Chez nos voisins d’outre-Rhin la percussivité des voyelles et des consonnes est relayée en un concert de chhh, tttt presque bruitistes. S’agit-il ici d’une nostalgie mal placée des versions Harnoncourt ? Ce « son sale » provoqué par des consonnes persistantes n’est-il pas un moyen d’accentuer le relief et la dramaturgie du texte ? La « posture Accentus », largement défendable, ne risque-t-elle pas de donner le sentiment d’un gommage, d’un ponçage des aspérités du texte ?

Le concert se poursuit avec la création de la dernière cantate de Bruno Mantovani. Après l’expérience de cantates travaillant « sur la notion de ligne ornementale appliquée à la langue italienne » (Cantate n°2 sur des Canti du poète bolognais Giacomo Leopardi), sur l’« esprit dix-neuvièmiste » (Cantate n°1 sur des textes de Rainer Maria Rilke et Cantate n°2 sur des textes de Friedrich von Schiller), l’attachement et la conscience historique du compositeur s’expriment une fois encore dans cette nouvelle page, Komm, Jesu, Komm (double commande d’Erda et du chœur de chambre Accentus), pour violoncelle, accordéon et chœur. Reprenant la caractéristique baroque du continuo, le musicien renouvelle ici sa fonction : plutôt que de se placer dans une logique de création ou de recréation sur des instruments anciens (ce qui implique un travail sur les notions de tempérament, voire de « dé-tempérament »), il prend l’option d’un continuo assuré par le groupement violoncelle/accordéon (version « remasterisée » du continuo cordes graves/orgue). Déjà utilisé, dans le contexte orchestral dense de l’opéra Akhmatova [lire notre chronique du 28 mars 2011], l’accordéon, par ses fonctions harmoniques et de sons continus proches de l’orgue, assure le liant entre violoncelle et chœur. Utilisé plus fréquemment comme entité soliste plutôt que comme élément de continuo, le violoncelle donne parfois l’illusion d’un renversement de la hiérarchie implicitement imposée par le « modèle cantate » : c’est par moment le chœur qui répond à la terminologie de « continuiste ». Sur cette écriture instrumentale virtuose se greffent quelques interventions de voix solistes réparties dans le chœur. Contrairement à ce que la majorité de la presse musicale avait pu reprocher au compositeur dans le genre opéra, l’intelligibilité du texte, garantie par des options d’instrumentation et une écriture vocale incisive, est constante. Enfin, on peut se poser la question de l’agencement formel de cette partition. En effet, un léger déséquilibre entre le soin des sections solistes (violoncelle et accordéon) et celui de l’écriture chorale pourrait laisser entendre que c’est l’instrumental qui conduit la dramaturgie de la pièce et non le rapport et la mise en bouche du texte.

Cette seconde partie de concert se referme sur deux opus de Felix Mendelssohn, acteur prépondérant de la redécouverte de la musique de Johann Sebastian Bach : Drei Psalmen Op.78 (1843-1844) et Ehre sei Gott in der Höhe (1846). Menées d’une main de maître par Laurence Equilbey (toutes les inflexions et les respirations sont là), les deux pièces s’inscrivent dans une certaine forme de modernité interprétative. Sans doute est-ce pour accentuer la filiation Mendelssohn/Mantovani (ou en tout cas Mendelssohn/expression de la modernité) plus que celle, bien réelle, entre Bach et Mendelssohn. L’empreinte romantique est assurée par les oppositions dynamiques et expressives qui donnent parfois le sentiment d’assister à une démonstration de belle mécanique et d’une surimpression « au stabilo » des logiques de l’écriture. Ne nous méprenons pas, l’ensemble de ce concert est de fort belle facture, mais il peut questionner nos habitudes d’écoute et ce que l’on attend réellement du temps de concert. Ne poussons-nous pas, inconsciemment ou par exigence, ensembles et orchestres à se produire avec la qualité du « son studio », de l’« objet disque » ? Ne recherche-t-on pas inlassablement cette qualité, cette perfection entendue sur sa chaîne depuis son canapé ? En ce qui nous concerne, nous attendons autre chose du temps de concert : plus que la perfection du disque, c’est la recherche de l’inédit, de l’inouï et parfois de l’imperfection propre au live que nous souhaitons. Peut-être est-ce pour cette raison que cette production laisse un léger arrière-goût de « trop parfait » ?

NM