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Chroniques
création de Lebewohl de Clara Olivares
Lars Vogt dirige l’Orchestre de Chambre de Paris et Accentus
Sans doute n’est-il pas simple d’écrire une œuvre lorsqu’on sait que sa création mondiale préludera l’exécution du Requiem de Mozart. Pour honorer la commande de l’Orchestre de Chambre de Paris et de la Philharmonie, la jeune compositrice franco-espagnole Clara Olivares a conçu « une célébration finale, un passage vers l’ailleurs » (brochure de salle) d’une vingtaine de minutes, articulant quatre séquences dont la dernière est confiée à un chœur. Le recours aux micro-intervalles n’est pas sans transmettre une couleur spectrale à l’ensemble.
Commencé dans un son qui arrive du lointain, peut-être hérité de Scelsi, le premier mouvement, délicatement amené par Lars Vogt, hésite entre crescendos nerveux et scintillements énigmatiques, sur un amble large où l’oscillation des bois se dessine discrètement. D’ostentatoires salves percussives marquent la suite d’une gravité impérative. Dans un pas rapide et fluide où des échos se répondent drument, la deuxième partie utilise ce motif qu’elle ne développe cependant pas. Assez proches de Jonathan Harvey, des appels de cuivres sont conjugués aux roulements de timbales en amorce de troisième section, dans une sonorité qui pourrait témoigner d’une certaine fascination mahlérienne – de fait Lebewohl, le titre de l’œuvre, n’est pas loin d’Abschied (conclusion de Das Lied von der Erde). Elle s’éteint progressivement, comme repartant vers un ailleurs indicible. Une brève Coda chorale prend alors le relais, soigneusement défendue par Accentus. Lebewohl est « un espace expérimental, d’inspiration rituelle, dans lequel les textures instrumentales puis vocales se veulent être une préparation à l’écoute apaisée du Requiem » (même source) : celui-ci s’enchaîne après une brève virgule.
Pour bien connaître et apprécier Lars Vogt en tant que pianiste, plusieurs fois salué par nos pages [lire nos chroniques du 19 janvier 2017, des 12 mars et du 3 septembre 2011, ainsi que du 30 juillet 2007], nous ne connaissions pas le chef. Le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Paris, qui manie la baguette depuis plusieurs années et à des pupitres notables (Orchestres de la NDR, Camerata de Salzbourg, etc.) parmi lesquels celui du Royal Northern Sinfonia de Newcastle dont il est le patron depuis cinq ans, affirme d’emblée une souplesse infiniment respirée, par-delà la relative urgence qu’il invite, où rien, cependant, n’est heurté. Dès « Te decet hymnus… », on retrouve avec bonheur le soprano norvégien Mari Eriksmoen qu’à Salzbourg l’on applaudissait dans cet opus, il y a peu [lire notre chronique du 3 décembre 2017, ainsi que celles de Die Schöpfung et Die Zauberflöte]. À un alerte Kyrie, presque bondissant, succède un Dies iræ proprement échevelé dont le Tuba mirum montre une basse, Yannis François [lire nos chroniques de Giulio Cesare in Egitto et de Moscou Paradis], qui bientôt s’affermit. En revanche, le ténor Sébastien Guèze [lire nos chroniques du Roi d’Ys, des Pêcheurs de perles, de Manon, Werther et Carmen à Genève puis à Metz] écope dès Mors stupebit et natura d’inquiétants coups de glotte qui témoignent vraisemblablement d’une méforme à laquelle il n’échappera pas de tout le concert. L’entrée de l’alto (Judex ergo cum sedebit) distribue un velours de toute splendeur dont jamais ne se déparera l’excellente Aude Extrémo [lire nos chroniques des Troyens, des Contes d’Hoffmann, de La Périchole, Semiramide, L'enfant et les sortilèges].
Après un Rex tremendæ tragique que Vogt apaise finalement par une musicalité indéniable, Recordare révèle une saine efficacité du quatuor vocal dans les ensembles. Prudente et sage dans le lever de rideau d’Olivares, la battue est désormais enlevée, sollicitant ce que voix et instruments offrent de plus sûrement flexible. Yannis François affirme ici une pleine maîtrise de ses moyens. Confutatis met le feu, alternant la fougue attendue à l’humble supplique. L’introduction dolente du Lacrimosa interroge l’œuvre comme l’auditeur, grâce à la nuance instrumentale, à la louable habileté des artistes d’Accentus, préparés par Christophe Grapperon, et à la pertinence musicale et dramaturgique de la direction. La salutaire tonicité de l’approche se confirme avec avantage dans l’Offertoire, y compris dans le lest canon solistique (au cœur de Domine Jesu). D’une séraphique simplicité mue par le moelleux des cordes, la sérénité bénie qui habite l’Hostias est à peine contrariée par le branle-bas conclusif (« Quam olim Abrahæ… »), quand la gloire baroque gagne d’inénarrable grandeur le Sanctus et sa fugue triomphante. Aude Extrémo contribue merveilleusement à la chaleur confortable, pour ainsi dire, du Benedictus, dont il faut également saluer la superbe des cuivres juste avant l’Osanna. Sans solennité superfétatoire, Lars Vogt mène en douceur l’Agnus Dei, tandis qu’une lumière particulière éclaire la voix de Mari Eriksmoen pour l’ultime communion (Lux æterna).
BB