Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Nôise d’Ondřej Adámek
Susanna Mälkki dirige l’Ensemble Intercontemporain

Cité de la musique, Paris
- 9 février 2010
Elisabeth Schneider photographie le compositeur Ondřej Adámek
© elisabeth schneider

Huitième rendez-vous du cycle Orientalismes qu’il vient conclure, cycle proposé par la Cité de la musique depuis le 30 janvier, ce concert de l’Ensemble Intercontemporain lorgne du côté du Levant, avec une première partie japonisante et la Chine de Mahler pour finir. Il s’ouvre par une pièce bien connue de Toru Takemitsu, écrite en 1981 : Rain Tree, réunissant ici Samuel Favre au vibraphone, Michel Cerutti et Gilles Durot aux marimbas. Laissons la parole à Alain Poirier :

« Le discours sur le pouvoir fécondateur de l’eau n’a pas échappé à Takemitsu pour qui l’élément liquide sous toutes ses formes, des eaux dormantes à la mer, en passant par les phénomènes naturels, est une composante essentielle de son univers musical. Dès 1974, Takemitsu a entrepris un cycle formé par divers « paysages de l’eau » (Waterscape) avec la série des œuvres consacrées au thème de la pluie, de Garden Rain (ensemble de cuivres) à Rain Tree (trois percussions) ou Rain tree Sketch (piano), et qui dérivera par Waterways sur les différentes versions de Toward the Sea. De même, la nature se retrouve encore au premier plan avec les arbres qui peuplent l’univers de Takemitsu, qu’il s’agisse de Rain Treedont le compositeur emprunte l’idée aux écrits de Kenzaburo Oé, ou quand il s’inspire des propos de Le Clézio dans sa vision de la nature : en opposant l’égocentrisme de l’homme à la permanence des arbres qui vivent « sans aucune espèce d’affirmation d’eux-mêmes », l’écrivain français ne peut que conforter le compositeur épris de symboles » (in Toru Takemitsu, Ed. Octobre en Normandie / Michel de Maule, 1996).

Figuralisme, imitation, inspiration, contamination ?...De même que l’eau stagne mystérieusement à la surface des minuscules feuilles de cet arbre à pluie, proliférations, développements, déductions, extrapolations se démultiplient dans les dix minutes de Rain Tree, à partir d’un effleurement égrené fort délicat, laissant bientôt entendre jusqu’au vent qui tremble l’eau en gouttes. Les interprètes de ce soir infiltrent l’écoute en des réseaux secrets, ceux des jardins du compositeur japonais.

Séjournant à Kyoto en 2007 dans le cadre d’une résidence Cultures France à la Villa Kujoyama, le jeune compositeur tchèque Ondřej Adámek [photo] imagina Nôise, grande pièce d’une demi-heure pour un ensemble d’une quarantaine d’instruments (faisant la part belle aux bois), dans l’influence des voix japonaises entendues sur la scène Nô. De fait, l’on rencontre, dès l’abord de cette création mondiale, un net parfum de rituel où le silence entre en jeu, de même que la répétition de certains motifs, la scansion parfois que souligne volontiers l’imitation d’effets vocaux, quand ce n’est pas directement la voix elle-même des officiants qui intervient.

La teneur en est avant tout rythmique, dans une acception très large accordant rôle à la suspension du geste entre deux frappes plus qu’à leur fréquence. Le travail d’imitation induit soudain que tout instrument puisse être alors à cordes, à vent, à percussion, les usages s’en trouvant radicalement détournés vers une unité commune de nature d’émission, quelle que soit la source. La première rencontre surprend, c’est indéniable, partageant une relative parenté avec le théâtre de certaines pages de Péter Eötvös, mais s’en tient là, peut-être trop sagement. Ingénieuse, l’utilisation de la harpe, séduisant le déchaînement central (façon Sacre du printemps), oui ; pourtant, on se prend à rêver ce qu’une échappée hors de la sécheresse générale eut permis de dépasser.

Retour dans le temps, pour le second volet de la soirée, avec une œuvre ô combien fameuse inspirée à Gustav Mahler par Die chinesische Flöte, traduction allemande de Hans Bethge de poèmes chinois des VIIIe et IXe siècles. La question de la distance est parfaitement abordée par cette programmation terminale : l’Orient rêvé, qu’il soit d’ici ou là, celui d’un ailleurs toujours, reconstruit par Mahler en 1909 dans son Chant de la Terre qu’Arnold Schönberg réduira pour en rendre l’exécution possible dans le cadre des concerts de son Verein für musikalische Privataufführungen, réduction finalement achevée en 1983 par le musicologue, compositeur et chef d’orchestre Rainer Riehn, à partir des annotations de Schönberg. Ces nombreuses reculades, pour ainsi dire, interagissent aujourd’hui dans l’appréhension presque exotique de l’œuvre dans cet état.

L’option de Susanna Mälkki surprend dans sa tentative de recréer avec un effectif moindre l’opulence de la partition originale. Plus souvent, ces transcriptions livrent plus clairement que jamais la forme d’une œuvre, sans pour autant la fondre jusqu’au squelette. Et ce soir, c’est tout autre chose : il y a Das Lied von der Erde dans la démesure de son auteur, mais aussi les choix personnels de Schönberg, contingents de l’effectif instrumental disponible de sa société. Le résultat est bluffant, indéniablement.

Ténor vaillant dont le timbre s’orne d’une couleur avantageusement barytonnée, y compris dans un aigu qu’il possède exempt de tout métal, Daniel Kirch nuance soigneusement ses interventions. On retrouve le mezzo Lili Paasikivi dont la ligne vocale somptueusement menée bénéficie d’une riche expressivité. Aussi l’interprétation prend-elle une dimension plus lyrique dès son entrée (Der Einsame im Herbst) et jusqu’auhiératisme de Der Abschied.

BB