Chroniques

par arvid oxenstierna

création de Regentanz de Toshio Hosokawa
Kishino, Taïra et Takemitsu par Les Percussions de Strasbourg

Musik der Zeit / Funkhaus, Cologne
- 1er novembre 2018
À Cologne, création allemande de "Sange" de Malika Kishino
© alfred jansen

Début de la saison contemporaine à Cologne, avec deux premiers concerts de la série Musik der Zeit, tournés vers le Japon. Entre enracinement dans la culture du pays et influence de l’Occident (européen ou américain), ses compositeurs développent des esthétiques diversifiées. Ensemble fondé en 1959 à la suite de l’interprétation du Visage nuptial de Boulez [lire notre recension du coffret d’archives discographiques, ainsi que nos chroniques du 27 mars 2003, du 21 septembre 2004, du 9 et 25 novembre 2007, du 22 septembre 2011, du 12 janvier 2013 et du 1er août 2014], et qui devint rapidement une référence incontournable dans le domaine de la création, Les Percussions de Strasbourg ouvrent la fête par un programme intitulé Ritus. Il regroupe quatre œuvres, dont une en création mondiale et une deuxième en première allemande. Minh-Tâm Nguyen, François Papirer, Enrico Pedicone, Galdric Subirana, Thibaut Weber et Hsin-Hsuan Wu prennent place sur le plateau de la salle Klaus von Bismarck, à la Maison de la Radio (Funkhaus).

Avec Sange, écrit en 2016, Malika Kishino [photo] – née à Kyoto en 1971, élève de Yoshihisa Taïra à Paris et de Robert Pascale à Lyon, avant de suivre un cursus d’informatique musicale à l’Ircam pendant la saison 2004/2005 – se remémore des cérémonies bouddhistes de son enfance. Elle rend hommage à Taïra (1937-2005), son maître, qui composa beaucoup pour percussions. Sange désigne le moment où, durant une cérémonie bouddhiste, les prêtres récitent des sūtra en traversant la salle où ils bénissent l’esprit des ancêtres en jetant des fleurs. Par le passé, ils distribuaient des pétales de lotus : à la solennité du geste s’ajoutait un parfum spécial. Aujourd’hui, ils utilisent des fleurs en papiers multicolores, sans odeur. « Dans Hiérophonie V (1974), Taïra joue finement avec des matériaux soigneusement sélectionnés et nous transporte dans son univers musical vivant et riche. Dix ans après sa mort, je lui dédie Sange », explique la compositrice (brochure de salle). Elle exploite plusieurs strates sonores qui évoluent de manière indépendante, comme c’est souvent le cas dans la musique électronique. « J’ai voulu créer un organisme musical avec son identité propre ». L’inventivité frappe dans cette page qui parvient à dépasser largement la seule dimension rythmique à laquelle l’imaginaire percussif est souvent limité.

Les classiques du répertoire moderne japonais sont présents sur les deux événements du week-end. En tant que tel, Tōru Takemitsu (1930-1996) est une figure importante. Séduit par l’Occident, dont les productions l’attirèrent en France et en Allemagne, Takemitsu s’est intéressé ensuite au shakuhachi et au biwa, flûte et luth traditionnels du Japon, trop connotés durant sa jeunesse par le régime nationaliste autoritaire de l’après-guerre. Après Éclipse pour biwa et shakuhachi, il a commencé, dans la seconde moitié des années soixante, à mêler instruments japonais et occidentaux – la pièce fondatrice de cette nouvelle ère fut November Steps (1967) [lire notre chronique du 27 mars 2014]. Les Percussions de Strasbourg jouent Rain Tree pour vibraphone et deux marimbas, qui inaugurait en 1981 une série de six pièces sur la pluie. La clarté cristalline de l’évocation des gouttes est un modèle de délicatesse. Taïra est l’autre ancien de ce programme, admirateur et même traducteur occasionnel de Takemitsu. Arrivé à Paris avant ses vingt ans, il s’imprégna beaucoup des enseignements de Messiaen et Dutilleux, le plus déterminant ayant sans doute été celui de Jolivet qui, dès leur première rencontre, détectait un grand talent. Il est d’abord connu pour sa maîtrise de l’orchestration, mais aussi par de nombreuses œuvres pour flûte(s) – jusqu’à trente-deux, dans Flautissimo (1988). Le 23 mars 1975, Les Percussions de Strasbourg ont créé au Festival de Royan Hiérophonie V. La pièce surprend par la présence de la voix, plus précisément de cris très injonctifs avec lesquels les six percussionnistes signalent leur respiration, stimulent leur jeu et aussi l’audition. Après une dizaine de minutes très tonique, c’est l’inverse : le silence entre comme acteur principal d’une deuxième manche plus lâche et contrastée. La troisième consiste en un ostinato de scansions et de cris qui conclut le concert avec brio. Mais avant, le public découvrait Regentanz.

Avec l’aide de l’Ernst von Siemens Musikstiftung, Toshio Hosokawa (né en 1955) répond à une commande de l’ensemble alsacien avec cette Danse de la pluie pour sextuor de percussions, donnée en première mondiale. Sa formidable activité de compositeur d’opéra [lire nos chroniques d’Hanjo, Matsukaze, The raven, Stilles Meer et Erdbeben, Träume] ne le détourne pas de l’écriture instrumentale pure. Il a placé sa Regentanz du côté du rituel chamanique, présent dans le bois, le sifflement, etc. « Dans les longues périodes de sécheresse, la pluie est considérée comme une grâce divine. De nombreux peuples perçoivent la pluie comme un cadeau. S’ils en sont privés, la sécheresse est une punition divine. Le rituel, qui inclut musique et danse, veut attirer l'attention des dieux, gagner leurs faveurs en les divertissant. Ce travail est ma cérémonie imaginaire et rituelle de la pluie », commente Hosokawa (même source). Une multitude d’instruments fournit une extraordinaire variété de timbres et d’effets, dont beaucoup imitent différentes pluies et les phénomènes qui les accompagnent. On ne sait pas si les cieux y sont sensibles, mais l’auditoire est fasciné, c’est sûr !

AO