Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Taranis de François-Bernard Mâche
Alexander Briger dirige le Chœur et l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Présences / Cité de la musique, Paris
- 10 mai 2008
le compmositeur français François-Bernard Mâche
© dr

La nouvelle édition du festival Présences que Radio France dédie à la création depuis quelques dix-sept années s’est étalée de septembre à mai et parcourut trois villes avant de s’achever en la parisienne Cité de la musique. Cette formule décentralisée et rendue saisonnière est à la fois une réponse ingénieuse à la mise en indisponibilité de la salle Olivier Messiaen, à la maison ronde, et un juste retour des choses puisque depuis ces débuts, ne se contentant pas de ne faire appel qu’à ses forces propres, la manifestation recevait in loco les orchestres de régions. Après Lille, Montpellier et Toulouse, c’est à la Porte de Pantin que le public toujours nombreux de ces rendez-vous gratuits put découvrir quelques nouvelles œuvres.

L’avant-dernier concert du cycle (qui en comptait treize) donne en première audition mondiale une commande de Radio France à François-Bernard Mâche. Pour Taranis (l’un des plus importants dieux du monde celte, Taranis qui désigne le tonnerre, arbore éclairs et roue solaire), le compositeur s’est, une nouvelle fois, inspiré du poète grec Giorgos Séféris dont l’œuvre fréquente assidument la mythologie. Mais le texte confié au Chœur de Radio France ainsi qu’à un récitant – le comédien André Wilms – est de la plume de Mâche lui-même. Il précise que « peut-être seule la musique peut assumer le paradoxe qu’elle incarne : tuer le temps en le déployant ». La partition s’articule cycliquement à travers de larges sections orchestrales, volontiers complexes dans leur travail rythmique.

L’écoute se repère bientôt dans le retour de figures récurrentes et d’un relatif systématisme dans l’emploi des forces chorales, isolant parfois une voix soliste. Le figuralisme n’est pas absent, de même qu’une expressivité « directe », qu’on pourrait dire plus justement « traditionnelle », arpente les trois quarts d’heure de la pièce. Bien qu’animé par un renouvellement des attaques souvent contrastées, Taranis, usant par ailleurs d’un éventail dynamique plutôt riche, démontre presque naïvement sa structure, et jusqu’en sa noyade, de sorte que l’oreille s’y trouve bercée. Il s’agit bien de cela : la notion du temps se raréfie à mesure que se précise celle de l’espace – la succession des différents postes convoqués par le compositeur.

Le plaisir de découvrir The eyes of the wind de Philippe Schoeller, exécuté juste avant, est autrement mené par l’auteur, « manipulé » pourrais-je aussi bien dire. Ouverte par un vrombissement sourd où les graves du piano rejoignent rapidement le frémissement des percussions, l’œuvre contredit brillamment ses prémices par le recours à l’énergie d’un violoncelle solo s’exprimant avec lyrisme à travers un passionnant chemin d’effets de timbres. Avec le bel engagement qu’on lui connaît, Jean-Guihen Queyras sert magistralement une partition dont les tutti lui répondent dans un dépouillement presque oriental. L’on regrette de ne vous en dire plus, Présences n’ayant apparemment pas estimé nécessaire d’informer plus précisément la presse ou le public sur cette œuvre annoncée maigrement dans ses brochures (l’épais programme comme l’additif du jour) comme écrite en 2004/2005 et donnée cet après-midi en création française. Il conviendra de s’interroger sur cette contradiction : voilà un festival qui se donne pour mission d’offrir un accès à la musique d’aujourd’hui mais qui, dans le même temps, néglige d’accompagner certains aspects de celle-ci.

Enfin, Alexandre Briger introduisait The eyes of the wind et Taranis par Atmosphères de Ligeti dont il accusait plus qu’on s’y serait attendu la lenteur, tout en gérant excellemment ses flux dynamiques. Très dense, son interprétation, avec la complicité des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, souligne la résistance de la matière sonore dans une fascinante épaisseur de ses évolutions.

BB