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création de Tensio de Philippe Manoury
Lorsque Franck Madlener annonce, pour sa nouvelle saison à l’Ircam, « la pleine convergence entre recherche et création, entre innovation et imaginaire », ses mots ne sont pas vides de sens. Alors que nous découvrirons, en juin prochain, l’opéra de Marco Stroppa, Re Orso, d’après une légende d’Arrigo Boito, des expériences diverses ont marqué la rentrée musicale de l’Institut : Un Mage en été qui synthétisait la voix théâtrale, Tremplin-Cursus 2 et ses compositeurs en herbe [lire notre chronique du 23 octobre 2010], ainsi que CO-ME-DI-A. En duplex avec l’IEM (Institute of Electronic Music and Acoustics) situé à Graz, ce vidéo-concert du 25 novembre mettait en scène un danseur (France) et une danseuse (Autriche) – pour nous virtuelle – dans une pièce de Bernhard Lang, NetTrike, prenant en compte les chocs sur des plaques métalliques résonnantes. Zoom-up fut également créée ce soir-là, dans laquelle l’Italien Andrea Cera faisait jouer deux claviers numériques et ordinateurs distants.
La soirée avec Diotima s’avère plus conventionnelle, mais en son début seulement. Première œuvre au programme, le Quatuor à cordes n°6 de James Dillon est dédiée au syndicaliste écossais James « Jimmy » Reid, décédé quelques semaines avant la création allemande, le 16 octobre dernier. Son mouvement unique propose cinq « états (…) étroitement liés, contradictoires et dynamiques » en arc symétrique ; c’est ainsi qu’on retrouve au finale une variante de la mélodie fredonnée qui déraille et grince au tout début.
Créé en 1996 par les Arditti qui l’ont gravé tout récemment (aeon), le Quatuor à cordes n°3 de Jonathan Harvey présente « une dialectique entre une texture sonore fugace et une structure sous-jacente très régulière ». Loin des contrastes dilloniens, l’œuvre dessine tendrement ses couleurs et ses formes. Les délicates harmoniques mènent en douceur à des rebonds, des fusements d’archer empreints d’une certaine inquiétude. Cette agitation progressive trouve sa conclusion dans une sorte de danse assez vive, presque tribale.
Commande privée d’un couple de mécènes, Tensio est le nom que donne Philippe Manoury à une pièce annoncée depuis longtemps. Comme il revient à l’italien de son premier quatuor (Stringendo), le musicien retourne à l’idée physique de tension : celle des cordes, exacerbée par l’électronique. Près de deux années ont été nécessaires pour explorer des pistes liées à la technologie musicale - toupies sonores harmoniques, suivi continu du tempo, etc. Les huit sections de cette demi-heure investissent un quatuor dialoguant avec un double virtuel, conçu à partir de sons synthétiques, bientôt enveloppé par des effets diffus et variés (hululement pulsé, pizz’ aquatique, éclair métallique, ostinato boisé, carillon, etc.). Usant d’une informatique omniprésente aux riches strates – Gilbert Nouno et Arshia Cont sont, à juste titre, remerciés pour leur contribution -, Manoury laisse respirer sa partition grâce à des moments calmes, voire méditatifs.
LB