Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Tether de Charles Peck
Fernando Palomeque dirige Écoute

Cité internationale des arts / Auditorium, Paris
- 28 octobre 2019
Fernando Palomeque dirige l'ensemble Écoute à la Cité internationale des arts
© ensemble écoute

Fondé il y a cinq ans à la Cité Internationale Universitaire de Paris (CIUP) par des jeunes musiciens, venus des quatre points cardinaux, qui se sont donnés pour mission la défense de la musique d’aujourd’hui et la création, l’ensemble Écoute – aidé par les Fonds pour les Initiatives des Étudiants, la Péter Eötvös Contemporary Music Foundation, la Sacem, la Spedidam, le programme Ibermúsicas, la Mairie de Paris et l’UNESCO – sert un répertoire des plus récents, tout en imaginant l’avenir à travers le concours annuel de composition qu’il mit en place en 2017. Le premier prix de l’édition 2019 est l’Étatsunien Charles Peck, né en 1988, dont la musique convoque volontiers la percussion (Prism, 2014 ; Synthetic Twin, 2016 ; Cloud Lattice, 2015 ; Kindling, 2018), un piano souvent percussif en formation de chambre (Sunburst, 2016 ; Splinter, 2019) ou l’électronique (Dichotomy, 2014 ; Fade, 2015). Dans ses pièces l’on retrouve un goût certain pour l’opposition entre une tonicité toujours en alerte et un lyrisme évident, au gré d’une imagination féconde.

Tether (2019) est une commande d’Écoute qui le donne ce soir en première mondiale. Une attaque drue des cordes l’ouvre dans une sonorité qui s’avère presque ethnique où s’invite bientôt le souvenir d’archaïsmes dansants. Un surplace s’installe, comme quelque naissance qui ne saurait avoir lieu, où s’articule l’insistance du violon, relayée par des motifs répétitifs au reste du quintette. Ce quasi-folklore violonistique ponctué par deux vents est entremis par trois accords ascendants, fort doux, au piano. Le sentiment du surplace perdure dans une hésitation dans des fragments jouant avec la perception et la mémoire – « exploration musicale d’un concept physique dans lequel les sons sont une collection d’objets reliés par un fil », précise le compositeur (brochure de salle) ; « à chaque interruption, la musique s’intensifie jusqu’à ce que le fil se claque et que les instruments deviennent une collection dispersée de sons flottants ». La tendresse des trois accords cycliques du piano rompt avec le caractère général densément nerveux, comme le final ferme et enlevé du violon, alla chitarra.

Cet opus bref et plutôt festif s’insère entre deux œuvres anciennes qui font voyager l’auditoire dans le mouvement spectral. Ainsi de Talea, créé sous la direction de Jean-Louis Petit à la Maison ronde le 13 janvier 1987, quintette à neuf instruments (violon, violoncelle, piano, trois flûtes et trois clarinettes) conçu l’année précédente par Gérard Grisey dont Espaces acoustiques, six mouvements écrits entre 1975 et 1985, venaient de marquer pour toujours l’histoire de ce courant [lire notre critique du CD]. Nous en goûtons une interprétation avisée et peut-être moins radicale qu’autrefois, sous l’archet remarquable d’Apolline Kirklar et la respiration pianistique d’Ezequiel Castro, dans la lecture inspirée de Fernando Palomeque, directeur artistique de la formation.

Dans ces années-là, Philippe Hurel écrivait Opcit pour saxophone ténor (1984), Pour l'image pour ensemble (1985) ou encore Fragment de lune pour ensemble et électronique (1986), dans les pas des spectraux ou, comme il le définit plus tard, dans une couleur spectralisante [lire notre entretien]. Le 6 mars 1995, Pierre-André Valade et l’ensemble Court-circuit donnaient le jour à Pour Luigi (1993-1994). On retrouve avec grand plaisir le bondissement particulier de cette page souvent fréquentée, commencée dans une homorythmie à peine contrariée par des résonnances résiduelles – Ana Mainer-Martin à la flûte et Joséphine Besançon à la clarinette –, qui décline un motif obsédant peu à peu trituré dans l’invasive palilalie de la seconde partie. L’ultime retour de la cellule initiale opère en geste conclusif éternellement frais. Les prochains rendez-vous avec Écoute feront entendre Messiaen et Murail – le 23 novembre à Bois-Colombes, le 12 décembre à Paris (Espace Ararat).

BB