Chroniques

par hervé koenig

création de Tour à tour de Philippe Hurel
Orchestre Philharmonique de Radio France, Jean Deroyer

ManiFeste / Auditorium de Radio France, Paris
- 5 juin 2015
1er des deux concerts monographiques Philippe Hurel de ManiFeste 2015
© c. daguet | éditions henry lemoine

Après une soirée d’inauguration assez décevante [lire notre chronique du 2 juin 2015], l’édition 2015 de ManiFeste, le festival de printemps de l’Ircam, s’est poursuivi par un récital de la violoniste Isabelle Faust et Rhapsodie démente, spectacle de Jean-Pierre Drouet, Marc Sens et François Verret (donné à Montreuil), jusqu’à ce premier rendez-vous avec la musique de Philippe Hurel (suite le 20 juin). Pour le moment, nous découvrons le triptyque intégral Tour à tour, dont les première et troisième pièces furent déjà créées – respectivement en 2008 à Oslo (L’envol) et à Monte-Carlo en 2012 (Les rémanences). À ces deux volets vient s’ajouter aujourd’hui La rose des vents qui à l’orchestre associe l’électronique (réalisation de Carlo Laurenzi), commande de l’Ircam et de Radio France.

Avec la maturité Philippe Hurel atteint la pleine maîtrise de son art, dans son acception la plus personnelle : nul « tic d’écriture », non, mais le développement superbement abouti des oppositions qui lui sont chères, fluidité spectrale contre fragmentation percussive, harmonie très exactement calculée contre semi-improvisation libre, et ainsi de suite, dominées par une force inventive s’affirmant plus que jamais. Tour à tour, dit le titre, faisant de cette alternance son programme.

À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le jeune Jean Deroyer, parfaitement aguerri au répertoire contemporain, illumine d’une clarté et d’une énergie remarquables les tous premiers temps de L’envol par une attaque qui vous attrape à coup sûr. La souplesse des parties de cordes suivantes est soulignée par des sortes d’ondes confiées aux bois et à l’archet sur les lames des métallophones, et bientôt tout ce qui peut sembler fondu se précipite en des motifs rythmiques de plus en plus infimes. Sans vouloir insister sur la qualité de l’Auditorium dont déjà je vous ai tant parlé, avouons que la précision du rendu sonore est un avantage qu’on ne négligera pas : dans ce premier mouvement tour à tour scintillant, soyeux ou tranchant, l’acoustique transmet parfaitement le beau travail de notre formation radiophonique, tout au service de la richesse de l’œuvre.

Dans La rose des vents le compositeur utilise l’électronique moins pour associer une foultitude de sons nouveaux à ceux dont il dispose aisément par ailleurs que pour exploser les limites de l’effectif symphonique et pousser les murs de la salle en enveloppant habilement l’auditeur. Le halo général propulse la pièce centrale plus qu’il ne l’habille, en fait, dans un effet de profondeur décuplé qui vient briser les repères d’écoute. Il faut néanmoins avouer que certains passages s’empêtrent un peu dans des procédés d’autrefois, amorcés par Gérard Grisey et Hugues Dufourt, entre autres, il y a un peu près d’une quarantaine d’années. La dernière séquence, quant à elle, retravaille le matériau de la première, dans une sorte d’aura passionnément généreuse qui la conclut dans une délicatesse de cristal.

Une fort belle œuvre, oui.

HK