Chroniques

par laurent bergnach

création du Concerto pour piano et ensemble de Furrer
le compositeur dirige l’Ensemble Intercontemporain

Centre Pompidou, Paris
- 12 janvier 2008
le compositeur suisse Beat Furrer
© kai bienerts

Intitulé Mots-reflets, ce concert de l’Ircam fait entendre quatre compositeurs, dont deux sont invités pour la première fois. Né en 1968, Arnulf Herrmann étudie notamment avec Gérard Grisey, Emmanuel Nunes et Hanspeter Kyburz, avant d’enseigner à son tour (théorie, analyse et acoustique) à Berlin. Terzenseele (L’âme des tierces) se compose de trois mouvements, dont le premier (exposition) et le troisième (développement) forment une parenthèse. Entre ces deux événements assez heurtés, le cœur de l’œuvre s’avère plus plaintif, plus strident aussi et, parce qu’il vit le jour à l’occasion de l’Année Mozart (2006), on y retrouve quelques notes de l’Adagio K411. Mais l’illustre aîné n’est qu’un déclencheur, précise le compositeur : estompée et séquencée, la citation apparaît seulement « comme une vrille dans l’espace sonore ». On notera la présence d’un synthétiseur AKAI qui ouvre la pièce, livrant des couleurs qui carillonnent, des pépiements dans l’aigu et d’autres sonorités surprenantes.

À l’origine du Klangforum Wien (1985) et récent créateur de Fama [lire notre chronique du 31 mai 2006], Beat Furrer [photo] dirige ensuite son propre travail. Le Concerto pour piano et ensemble voit donc le jour ce soir, découlant de la version pour orchestre que Cologne a découverte en novembre dernier. Après les explorations en solo de Phasma et Drei Klavierstücke, Furrer a souhaité revenir aux deux pianos de Nuun et s’attacher à la résonance et à la plasticité des sonorités. Tout semble se passer tout d’abord entre les deux pianistes, Dimitri Vassilakis et Géraldine Dutroncy, et la percussion ; puis tout l’effectif connaît plusieurs phases de discrétion et d’emballement, jouant un rôle d’amplificateur. Le clavier principal, d’abord frappé dans le grave, finit par libérer ses notes les plus cristallines.

Après l’entracte, nous retrouvons l’Allemand Philipp Maintz (né en 1977), lequel faisait l’objet d’un avant-programme. Deux heures auparavant, l’Ircam proposait un court métrage retraçant certaines étapes de la naissance d’Océan – des réglages en compagnie de l’informaticien Robin Meier –, suivi d’un court échange avec le public. Nous y apprenions notamment que cette pièce regorgeant d’événements électroniques est un fragment de l’opéra Maldoror qui sera créé à Munich en 2010, dont le devenir s’est vu modifié par ces derniers mois de recherche à Paris. « Mélange de Cassandre et de Reine de la Nuit », la femme s’adressant à la masse aquatique a les traits de Marisol Montalvo. Annoncé souffrant, le soprano n’occupe pas tout l’espace, mais la voix possède une belle assise [lire notre chronique du 2 février 2003], des graves sensuels et des aigus chaleureux.

Créée le 4 mars 1976 par L’Itinéraire, Partiels clôt le concert, et donne l’occasion de saluer Gérard Grisey qui nous quittait voilà dix ans. Dans un programme largement germanique, sa place n’est pas incongrue : le natif de Belfort a étudié au très réputé Conservatoire de Trossingen, « die Stadt der Musik » (1963-65), avant de rejoindre la capitale, mais aussi à Darmstadt (1972). Comptant parmi les pièces fondatrices du mouvement spectral, cette troisième partie du cycle Les Espaces acoustiques accumule les fusions permettant « d’articuler et d’organiser toute une gamme de timbres allant du spectre d’harmoniques au bruit blanc ». Pour ce faire, la composition recourt à la vibration si particulière de l’accordéon, au graves de la contrebasse, aux cuivres bouchés, aux harmoniques des cordes, au piccolo, au polystyrène frotté, au papier aluminium fripé, au papier kraft froissé, etc. Une mise en scène finale fait se succéder un violent bruit de pages tournées, le lever hypnotique de Sophie Cherrier et l’amorce d’un coup de cymbales que le noir tue dans l’œuf.

LB