Chroniques

par hervé könig

création du Stabat Mater de Benjamin Attahir
Orchestre Philharmonique et Maîtrise de Radio France

Asmik Grigorian, Sofi Jeannin, Mikko Franck
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 15 septembre 2023
création mondiale du STABAT MATER d'Attahir par le Philhar' et Mikko Franck
© dr

Après la rentrée de l’Orchestre national de France pour laquelle Cristian Măcelaru dirigeait hier soir un programme vingtièmiste constitué des Notations (Boulez), de L’arbre des songes (Dutilleux) et du Sacre du printemps (Stravinsky) [lire notre chronique de la veille], il revient aujourd’hui à Mikko Franck de mener le concert de rentrée de son Orchestre Philharmonique de Radio France, la seconde formation instrumentale radiophonique française. Dans le même élan qui paraît définir les premiers pas de la saison 2023/24, marqués par la musique de notre temps [lire nos chroniques de la soirée d’ouverture du Festival Ensemble(s) et de Mnemosyne de Dillon par l’EIC], est ici créée une commande de Radio France, pour sa Maîtrise, au jeune compositeur toulousain Benjamin Attahir (né en 1989) [lire nos chroniques d’Après l’ineffable, Adh-Dhohr et Poemas da despedida]. C’est donc la plus que talentueuse Sofi Jeannin qui, à la tête de l’effectif choral maison formé par des enfants, a œuvré en amont cette première mondiale.

Attahir [photo] a écrit son Stabat Mater (pour voix hautes et orchestre) pendant les mois du dernier hiver, non seulement en toute connaissance de travaux de ses illustres prédécesseurs sur ce texte mais en s’inspirant d’une Crucifixion de Salvador Dalí – la brochure de salle ne précise pas s’il s’agit du Christ de Saint Jean de la Croix de 1951, conservé à la Kelvingrove (Glasgow) ou de Corpus hypercubus de 1954 que détient le Met (New York) – et de plusieurs dépositions de Jésus avec Marie admirées au Prado (Madrid). La vaillance des jeunes voix de la Maîtrise de Radio France magnifie une écriture orchestrale colorée et souvent rythmique. Un Doloroso tonique engage ce Stabat Mater qui n’est pas vraiment contemplatif. Des cellules répétitives organisent un jeu de répons dans Ossessivo, le deuxième des quatre versets de la pièce. Après Ben andante, qui ne détend toujours pas cette partition de vingt-deux minutes où, malgré une rigueur contrapuntique post-regerienne, s’accumulent les effets dramatiques, la dernière partie, Calmo, introduite par un bref trait de violon solo – Ji-Yoon Park, sur le superbe Amati de 1623 ! –, avance avec une détermination certaine vers son fracas final.

Après un assez long changement de plateau, le soprano lituanien Asmik Grigorian entre en scène pour chanter les Vier letzte Lieder (1948) de Strauss. Le lyrisme généreux du Philhar’, dans un élan fervent du chef finlandais, marche parfaitement avec l’opulence vocale et son inflexion d’opéra, pour un Frühling d’anthologie. C’est un September frémissant qu’offrent les interprètes, suivie de Beim Schlafengehen recueilli où la voix s’envole, royale [lire nos chroniques de Wozzeck à Cologne et au Salzburger Festspiele, Le joueur, Le démon, Salome, la Quatorzième Symphonie et Jenůfa], et Ji-Yoon Park fait un tabac dans le splendide solo avant le retour d’un chant incroyablement libre, legato comme aucun autre, qui donne le frisson. Il ne manque presque rien à ces Quatre derniers Lieder, qu’une onctuosité de cordes troquée pour la clarté française ici dispensable :c’est la seule réserve à émettre sur une version de belle facture. Asmik Grigorian nuance avec une grande sensibilité Im Abendrot. La plénitude des moyens vocaux et expressifs est à son comble.

Le 28 octobre 1893, maestro Tchaïkovski dirigeait en personne, à Saint-Pétersbourg, la création de sa Symphonie en si mineur Op.74 n°6 à laquelle il donnera l’année suivante (au moment de son édition) le nom de Pathétique. L’Adagio et son Allegro non troppo enchaîné sont une belle occasion pour Mikko Franck de faire entendre les nombreuses qualités des pupitres de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France. Il maintient le début du mouvement dans une réserve d’abord étonnante et qui se révèle par la suite une stratégie expressive payante. La danse de l’Allegro con grazia est d’une souplesse délicate, quand la sonorité est plus fondue. C’est confortable, mais cela manque d’enjeu, la platitude menace. La réussite du premier mouvement ne se répète pas dans le troisième, Allegro molto vivace saucissonné aux ciseaux de coiffure, dépourvu de musicalité. Froid, l’Adagio lamentoso n’est pas mieux inspiré. La marche finale accuse même une brutale raideur – à faire regretter d’être resté pour la seconde partie du concert… Voilà, la révision des véhicules est faite, la saison peut commencer !

HK