Chroniques

par irma foletti

création française d’Über die Linie VIII de Wolfgang Rihm
Sarah Connolly, Andreas Schager, Orchestre de Paris, Ingo Metzmacher

Festival d’Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 13 juillet 2019
création française d’Über die Linie VIII de Rihm, par l'Orchestre de Paris
© dr

Après la création en France du Concerto pour violoncelle d’Esa-Pekka Salonen il y a trois jours dans ce Grand Théâtre de Provence [lire notre chronique du 10 juillet 2019], le Festival d’Aix-en-Provence propose une nouvelle première française. Il s’agit cette fois d’Über die Linie VIII de Wolfgang Rihm [photo], créée en 2015 pour les célébrations des trois cent ans de la fondation de la ville de Karlsruhe. La pièce, indique le compositeur, insiste sur « le linéaire : lignes, lignes de vie, et croissance ou développement à partir d’une cellule germinale ». Dans cette page facile d’accès de trente minutes environ, le tapis de corde initial dessine une ambiance plutôt énigmatique, rythmée par les interventions des bois et des xylophones. On enchaîne avec des montées et descentes successives des volumes, quelques crescendos vers des cuivres et percussions plus clinquants, ou encore des passages où toutes les cordes se placent dans l’extrême aigu. On entend chez Rihm le riche héritage de nombreux compositeurs, en particulier Richard Strauss que peuvent évoquer le brillant des cuivres dans certains tutti et quelques inflexions de la ligne mélodique. On détecte aussi quelques sons plus originaux comme ceux, brefs, de percussions jamaïcaines (steel-drums), avant la conclusion de la composition, plus calme, où la flûte rappelle davantage Ravel ou Debussy dans son Après-midi d’un faune. L’Orchestre de Paris se montre impeccable, aussi bien pour la technique que pour l’interprétation, sous la baguette très précise et éclairé d’Ingo Metzmacher. Ce sont ceux-là mêmes qui viennent d’interpréter à Aix les trois formidables représentations de l’opéra Jakob Lenz, également de Wolfgang Rihm, dans une production précédemment évoquée dans nos colonnes [lire notre chronique du 5 juillet 2017 et notre critique du DVD].

Après l’entracte, Das Lied von der Erde de Gustav Mahler, « symphonie pour mezzo-soprano, ténor et orchestre d’après Die chinesische Flöted’Hans Bethge », convoque la même phalange, rejointe par Sarah Connolly et Andreas Schager, deux solistes de grande valeur. Dès le premier des six poèmes, Chanson à boire de la douleur de la Terre, le ténor démarre dans un registre héroïque aux aigus projetés avec insolence, sans sacrifier pour autant à la qualité de l’articulation. Andreas Schager est un impressionnant Heldentenor de format wagnérien, qui fait ici jeu égal avec le volume de l’orchestre [lire nos chroniques du 4 septembre 2013, du 25 juin 2014, du 19 avril 2016, du 13 mai 2018 et du DVD Parsifal capté à Berlin]. Le Solitaire en automne amène un fort contraste, le chant de l’alto porte une grande douleur, dans un riche timbre, et des notes graves d’une belle texture, sans poitriner. Le caractère chinois apparaît avec plus d’évidence dans les deux poèmes qui enchaînent : De la jeunesse où le ténor se montre toujours aussi vigoureux, puis De la beauté plus gentiment primesautier, printanier, au cours duquel la soliste a parfois un peu de mal à rivaliser avec les décibels des musiciens. Retour à la boisson, avec L’homme ivre au printemps où l’ébriété gagne à la fois le ténor et l’écriture musicale, avant le sixième numéro L’Adieu pour une ambiance qui change évidemment radicalement.

La mort n’est pas encore présente, mais on peut déjà entendre le convoi funéraire rythmé par le hautbois, le gong, le contrebasson. Le chant de Sarah Connolly est rempli d’émotion, sur un souffle long souvent plaintif, en particulier dans les échanges avec la flûte. La musique s’élève alors vers le sublime, comme le gong qui alterne avec les huit contrebasses, un glas qui sonne, tandis que participe également le cor anglais. Ingo Metzmacher sert l’œuvre avec une totale implication qui va bien au delà du savoir-faire technique. L’auditoire est encore sous le choc émotionnel quelques secondes après la dernière note, avant de saluer avec enthousiasme tous ces très grands interprètes.

IF