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Chroniques
création française de Cornu Luminis d’Amir ElSaffar
Daniele Rustioni dirige l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée
L’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (OJM) propose chaque année des sessions de formation et d’échange à une centaine de musiciens d’une vingtaine de nationalités différentes, issus du bassin méditerranéen en grande majorité. Créée en 1984 à l’initiative de la Région Sud – PACA, cette entité est présente chaque année au Festival d’Aix-en-Provence, depuis 2014.
Le concert préparé par ces jeunes instrumentistes depuis plusieurs semaines démarre avec la création française de Cornu Luminis (Cor de lumière) du compositeur et trompettiste nord-américain d’origine iraquienne Amir ElSaffar. La pièce démarre sur un petit fond de cordes et la trompette solo, tenue par l’auteur, en avant-scène, tout en agilité et modulation dans une ambiance fort orientale, comme une caravane qui passerait dans le désert. Puis l’orchestre prend une épaisseur davantage symphonique, une musique tonale très accessible pour l’auditeur. La formation oscille ensuite entre passages doux, mélodieux (la harpe, puis le joli alto solo) et d’autres aux rythmes plus heurtés. La deuxième section de trompette solo, avec sourdine, évoque un passage dans le lointain, puis la troisième paraît reprendre de très près certaines mesures du Boléro de Ravel. Après un petit passage un peu jazzy en dernière partie, l’ultime intervention du soliste ne se fait pas à la trompette : c’est un chant arabe qui module la voix, un peu comme un muezzin sur un accord soutenu aux cordes. L’orchestre se montre remarquable, il est difficile de détecter qu’il s’agit ce soir de jeunes instrumentistes encore en formation. Le chef Daniele Rustioni, très réputé dans le répertoire italien, comme il le prouve à nouveau à Aix cette année [lire nos chroniques de Tosca, La traviata et de Don Carlos, mais aussi de La Juive], embrasse également un très large spectre de compositeurs, qu’il sert avec excellence [lire notre chronique de La selva incantata et de Shéhérazade] – on se souvient, par exemple à l’Opéra national de Lyon, de ses formidables prestations dans le War Requiem de Britten ou encore L’Enchanteresse de Tchaïkovski, la saison passé [lire nos chroniques du 9 octobre 2017 et du 15 mars 2019].
La soirée enchaîne avec les Lieder eines fahrendes Gesellen de Gustav Mahler, interprétés par John Chest [lire notre chronique de Werther]. Le baryton est doté d’un beau grain, d’un instrument homogène sur presque toute l’étendue de la tessiture, mis à part son registre le plus aigu, quelque peu fragile. Il craque une note dans son deuxième chant, Ging heut’ morgen übers’s Feld, et en semble pour un temps sensiblement déstabilisé. La voix se montre vaillante vis-à-vis d’un orchestre plus volumineux dans le troisième chant, tandis que dans le dernier, Die zwei blauen Augen, les aigus ont tendance à se resserrer de plus en plus, alors que le médium sonne davantage sereinement. La direction musicale est, quant à elle, particulièrement attentive et délicate.
Après l’entracte, c’est au tour de la Symphonie en ré majeur Op.72 n°2 de Johannes Brahms, par un OJM absolument magnifique qui fait entendre d’amples respirations aux cordes, des vents techniquement impeccables – même le pupitre de cors. Quelques attaques aux violoncelles sont d’un romantisme palpable. Le troisième mouvement, Allegretto grazioso, avec ses mélodies plus fleuries aux bois et ses pizzicati de violoncelles, montre un travail extrêmement abouti. Le rythme est parfaitement en place malgré certains brusques et difficiles changements de la pulsation. L’exécution se termine par un grand brillant des cuivres, somptueuse conclusion d’un concert de futurs professionnels, au service desquels le chef a mis toute son expérience et son intelligence musicale.
IF