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Chroniques
création française de POETICA de Chaya Czernowin
Les Percussions de Strasbourg, Catinblack Ensemble, Steven Schick
Notre deuxième rendez-vous avec l’édition 2024 de ManiFeste, le festival annuel de création de l’Ircam [lire notre chronique du 7 juin 2024], est ouvert par un geste qui pourrait tout aussi bien évoquer le fait d’écrire que celui de peindre. Ce soir, le plateau de l’Espace de projection de l’institut est investi par les quatre musiciens formant Les Percussions de Strasbourg – Olivia Martin, François Papirer, Enrico Pedicone et Thibaut Weber –, ainsi que par le percussionniste et chef d’orchestre étasunien Steven Schick qui interviendra également par la voix. Passé le grattement d’une surface avec une sorte de stylet par ce soliste, une partie très dense des quatre autres postes se met en branle, dans une intensité incandescente qui trouve plus tard échos dans des résurgences de manifestations enregistrées en 2023 à Paris, aux USA ou encore à Tel Aviv – « nous vivons tous dans une réalité complexe dont nous ne semblons plus désormais pouvoir échapper », affirme Chaya Czernowin de laquelle nous découvrons POETICA donné ici en première française (la création mondiale eut lieu à Dresde, le 12 avril dernier, par les mêmes interprètes).
Dans un curieux rebond autorégénérant, une vocalité inattendue des peaux est peu à peu développée, à la faveur de la diffusion sonore qu’assure Clément Cerles mais encore de l’association d’un trio à cordes enregistré en amont par le Catinblack Ensemble – Sofia von Atzingen (alto), Ema Grčman (violoncelle) et Javad Javadzade (contrebasse) : manipulé via l’électronique dans une conception de Czernowin et de Carlo Laurenzi, le son de ce trio modifie et amplifie celui des percussions. Tour à tour continuum, sur lequel se dépose une partie solistique très élaborée qui convoque d’innombrables bruits de bouche et surtout une partition du souffle, ou implacable crescendo collectif en manière de turba, l’œuvre de la compositrice israélienne [lire nos chroniques de Lovesong, Guardian et Heart chamber] articule plusieurs sections enchaînées dont l’une est bordée par une rude chute d’eau dans les haut-parleurs, apportant une dimension de hors-champ, pour ainsi dire, à l’exercice du concert.
La déambulation nerveuse des doigts sur un clavier implicite plonge l’écoute dans le trajet de la formulation d’une pensée par des mots sous la main de celui qui la transmet – « POETICA symbolise une descente dans l’ombre des mots, dans la recherche de sens. […] Il ne s’agit pas exactement de paroles, mais plutôt de l’interaction entre mémoire et temps présent », dit par ailleurs Chaya Czernowin (conversation entre la musicienne et Frank Madlener, directeur de l’Ircam, recueillie et traduite par Pauline Destouches pour L’Étincelle).
BB