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Chroniques
création mondiale de Baïnes d’Aurélien Dumont
vidéo de Jennifer Douzenel, Ensemble 2e2m, Pierre Roullier
Pour son concert de l'année, l'ensemble 2e2m propose, en insérant une suite de Rameau entre deux créations, une mise en regard de répertoires que les programmes discriminent généralement au nom de la segmentation des publics. Jean-Luc Hervé ouvre la soirée avec une commande du festival Format Raisins, (Re)transmission pour huit voix, ensemble et lecteurs mp3. La visqueuse plasticité augurale des textures orchestrales, avec une densité significative des cordes, emprunte à un topos de la musique contemporaine investi de manière aussi séduisante que prometteuse et souligné par une précision dénuée de sécheresse. Ce malaxage de la matière sonore ne tarde pas cependant à verser dans une relative inertie que rompt l'intervention de l'électroacoustique, colorée par les onomatopées des huit étudiants du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs du CRR de Paris, préparés efficacement par Désirée Pannetier. Le bruissement dispersé des glottes, qui s'agglomèrent selon un faux hasard, chatouille non sans imagination les zygomatiques auriculaires, avant de céder à un nouveau diptyque, orchestral et vocal-électronique. La pièce semble ainsi juxtaposer techniques et virtuosités, sans se soucier ostensiblement d'une articulation autre qu'un mille-feuille, pouvant laisser l'auditeur sur sa faim.
Entrant en scène, le clavecin annonce un intermède et une plongée de près de trois siècles en arrière. À rebours de la rhétorique exhibitionniste de certainsbaroqueux, Jean-Christophe Dijoux propose une lecture très concentrée desPièces de clavecin avec une table pour les agrémens de Rameau. On devine au gré de la succession des six pages du recueil (Allemande, Courante, Gigues I et II en rondeau, Le rappel des oiseaux, Musette en rondeau etTambourin) une discrète progression rythmique et harmonique, distillée avec une retenue consciencieuse, qui ne brusque jamais l'homogène raffinement du toucher, au risque de surprendre des habitudes d'écoute moins intellectuelles.
Le concert se referme sur une autre création, signée Aurélien Dumont, compositeur en résidence à 2e2m pour l'année 2018 [lire notre critique du CD NoMadMusic]. Imaginé pour ensemble et vidéos silencieuses conçues par Jennifer Douzenel, Baïnes illustre admirablement l'originale synthèse que le musicien français, renouvelant en quelque sorte l'héritage de l'approche d'un Takemitsu, opère entre la tradition occidentale et le terreau nippon où il s'est également enraciné – le titre de son dernier livre d'entretiens, La fécondité de l'écart, publié par la collection À la ligne et 2e2m, dit assez cette double identité. Loin de faire appel à la surface de l'exotisme, il extrait de la culture japonaise un rapport apaisé au temps innervant les quatre séquences de son cycle, avec, en guise d'intermède, les vidéos presque immobiles et absolument muettes, mais éminemment évocatrices. Tandis que de Jupiter à Blink, en passant par Mascaret et Hong Kong, le matériau thématique, dessinant des contours souples et doux tels une délicate peau pour l'intériorité sincère du propos, semble se décanter au fur et à mesure, les images fonctionnent comme un bagage supplémentaire pour cette authentique sédation onirique où affleure un admirable sens du détail, à l'exemple du scintillement au soleil d'une surface marine au sein de laquelle l'œil est constamment happé par un petit motif graphique récurrent dans les interstices des eaux. Une belle introduction à cette année Aurélien Dumont !
GC