Chroniques

par bertrand bolognesi

création mondiale de Copyleft de Ying Wang
création française du Quatuor n°4 de Beat Furrer

Quatuor Diotima
Cité de la musique, Paris
- 8 décembre 2022
Diotima en concert à la Cité de la Musique (Paris)
© lyodoh kaneko

C’était il y a un peu plus d’un an, à la Konzerthaus de Vienne, dans le cadre du festival Wien Modern. Le Quatuor Diotima créait alors le Quatuor n°4 de Beat Furrer (né en 1954), commande qui associait la salle de la Lothringerstraße à la Philharmonie de Paris. Ce soir, Yun-Peng Zhao, Léo Marillier (violons), Franck Chevalier (alto) et Pierre Morlet (violoncelle) livrent la première française de l’œuvre en l’Amphithéâtre de la Cité de la musique, sous la protection muette de l’orgue Dupont – Christian de Portzamparc, l’architecte du lieu, a réalisé le buffet de l’instrument.

Selon sa technique particulière du kaléidoscope, telle qu’exprimée dans la brochure de salle via une notice d’Andreas Karl, le compositeur suisse [lire nos chroniques de Nunn, Presto con fuoco, Fama, Concerto pour piano, auf tönernen füssen, Kaleidoscopic memories, Enigma, Linea dell'orizzonte, Violetter Schnee et Concerto pour clarinette] développe un entrelacs souterrain de motifs en perpétuelle évolution. On en perçoit d’abord les longues tenues, indéfiniment renouvelée, qu’une oscillation vient parfois rehausser jusqu’à en modifier la hauteur. La dynamique demeure, pour commencer dans un impact mezzo forte plutôt musclé – plus proche du forte que de sa moitié, donc. Une période de frottements volubiles s’ensuit, d’où sourdent des notes nettement appuyées, au gré d’un tremblement général saisissant. L’intensité est dès lors recouvrée, mêlant avec une nervosité manifeste les matériaux plus intimement encore. Une section en glissando mène à un échange d’attaques forcenées, dont un puissant pizz’ promené d’un pupitre l’autre. De fait, l’énergique pincement de corde, répété autant que voyageur, conclut cette pièce jouée en homorythmie par ses quatre officiants.

Commandé à Ying Wang (née en 1976) par Diotima, la Philharmonie et le Weiwuying (Taïwan), Copyleft est donné aujourd’hui en création mondiale – nos quartettistes avaient prévu de jouer le présent programme ici-même au début de cette année, dans le cadre de l’intégrale Manoury, mais la santé du Covid-19 vint entraver leur projet [lire notre chronique du 18 janvier 2022]. « Diverses approches que j’utilise au quotidien dans ma pratique artistique […] font écho à des questions culturelles et politiques qui dépassent largement le domaine de la musique et même de l’art », explique la compositrice chinoise. « Je suis profondément influencée par ma culture, les odeurs, les matériaux, les sons de mon enfance. Et j’ai été formée dès la petite enfance […] dans la tradition musicale européenne. » (brochure de salle). Évoquant l’obligation dans laquelle le commentateur occidental insiste à la cantonner consistant à situer son travail par rapport à culture chinoise et culture européenne, donc approchée selon une « hyperhybridité contestable », la créatrice aborde ensuite une tendance de la politique à copier des modèles anciens, « ce qui est loin d’être encore recherché dans le domaine de l’art », et de là s’interroge sur le copyright du quatuor à cordes en tant que genre appartenant pleinement à l’histoire. Une sorte de ritournelle très appuyée, dans un son volontiers saturé, ouvre cette nouvelle œuvre que la forte empreinte rythmique place du côté de la danse. Des citations jalonnent le parcours, où se laissent reconnaître, entre autres, Stravinsky, Ravel et même Bernard Herrmann.

« La tension dont il s’agit, nous dit Philippe Manoury de son Quatuor n°2, est d’ordre physique : c’est celle des cordes qui sont tendue sur les instruments […] et que j’ai exacerbée dans la musique électronique » (même source). Créé à l’Ircam il y a douze ans par Diotima après deux ans d’un labeur assidu [lire notre chronique du 17 décembre 2010], Tensio a ouvert à son auteur la voie vers un usage plus que jamais inventif de la technologie toujours en devenir. « J’ai découvert des catégories sonores tout à fait surprenantes lorsque l’on pousse à certaines extrêmes des modes de jeu traditionnels dans des zones qui ne sont guère accessibles à la physiologie humaine », commente le compositeur. La mixité interactive de cet opus traversé d’innombrables événements passionne d’emblée et ne perd pas l’auditeur au fil des sept épisodes à l’articuler.

BB