Chroniques

par michèle tosi

création mondiale de Kim Vân Kiêu
poème lyrique en quatre chants et un épilogue de Bernard de Vienne

Église Saint-Merry, Paris
- 9 décembre 2017
création mondiale de "Kim Vân Kiêu" de de Bernard de Vienne à St-Merry (Paris)
© benoît auber

« Le sort est ingrat pour les femmes de talent et de grande beauté » prévient Dam Tiên, l'âme errante qui apparaît à Kiêu au tout début du poème d'amour Kim Vân Kiêu, chef d'œuvre de plus de trois mille vers de l'écrivain vietnamien Nguyên Du (1766-1820). Son compatriote Huyn Quôc Tê en tire aujourd'hui un livret en français que Bernard de Vienne met en musique. Donné en création mondiale sous la voûte de Saint-Merry, ce poème lyrique en quatre chants et un épilogue pour cinq voix, récitant et piano retrace les épisodes douloureux et la vie sacrifiée de l'héroïne.

Kiêu a seize ans dans le premier chant et s'est éprise de Kim, jeune étudiant à qui elle jure un amour éternel. Mais la menace de mort qui pèse sur son père emprisonné à tort l'oblige à s'éloigner de celui qu'elle aime. Pour réunir la somme qui pourra libérer son père, elle se vend à un riche marchand et ainsi débute la lente et inexorable déchéance de Kiêu, victime de la tromperie, de la méchanceté et de la veulerie des hommes. Elle finit par se jeter dans le fleuve Tien Duong mais elle est sauvée par une bonzesse et voue désormais sa vie à la méditation, malgré les retrouvailles avec sa famille et son fiancé.

Sur le plateau dressé en fond de nef, cinq chanteurs sont au côté du seul piano pour retracer en musique ce bouleversant récit – un vrai défi relevé par le compositeur dont l'écriture vocale et ses stratégies dramatiques tiennent en haleine une heure trente durant. Passant dans les rangs du public, c'est le comédien Stanislas de la Tousche qui amorce l'histoire en présentant les personnages dans un court prologue bientôt relayé par le piano. On y entend une écriture-oiseau, celle de Bernard de Vienne, qui résonne sous les doigts de la jeune et merveilleuse Trần Ngọc Nguyên Trinh. La pianiste assume les exigences d'une partition fleuve, à l'écoute des cinq chanteurs qu'elle doit soutenir et parfois relayer dans des interludes où s'exercent tout à la fois puissance du jeu et virtuosité confondante.

Entre texte intelligible et pouvoir expressif du chant, les niveaux de vocalité sont multiples dans cette écriture qui opte pour une circulation fluide entre le parlé et le chanté : déclamation musicale, envolées lyriques vers l'aigu des registres, profils ornementaux ou courbes litaniques sont autant de trajectoires collant à la dramaturgie, qui modèlent une ligne de chant toujours exigeante autant qu'expressive. À plusieurs reprises, c'est un orchestre de voix qu'écrit le compositeur, ménageant autant de trouvailles sonores que de plages très poétiques.

Les interprètes sont tous vaillants et dûment impliqués dans le récit. Ils incarnent parfois plusieurs personnages, comme le soprano Nathalie Pannier et le contralto Camille Merckx dont les timbres confèrent couleur et relief à la trame narrative. Si la voix du ténor Guillaume François est tendue dans le premier chant, particulièrement acrobatique, elle se fait plus ductile et bien projetée par la suite. On apprécie la diction claire et le timbre rayonnant du baryton-basse Étienne Chevalier. Quant au rôle-titre, Norma Nahoun s’y avère rien moins qu'impressionnante par l'homogénéité de ses registres, la beauté du timbre et la présence scénique d'une chanteuse qui n'accuse aucune fatigue malgré la charge écrasante qu'elle endosse.

Si la partie de piano a pleinement convaincu, on se plait à penser qu'un agrandissement instrumental et quelques couleurs d'orchestre donneraient sa plénitude à l'envergure dramatique d'un tel récit.

MT