Chroniques

par bertrand bolognesi

créations de la version de chambre de Reflections II de Jarrell
et de sa transcription de la Quatrième de Gustav Mahler

Elsa Benoit, Hideki Nagano, EIC, Pierre Bleuse
Cité de la musique, Paris
- 13 septembre 2024
Hidéki Nagano et l'EIC créent la nouvelle version de "Reflections II" de Jarrell
© quentin chevrier

Événement double, ce soir à la Philharmonie de Paris, puisque le premier concert de la nouvelle saison de l’Ensemble intercontemporain (EIC) s’inscrit dans le programme Mahler Perpectives que le lieu accueille en cette fin de semaine. Trois rendez-vous avec le compositeur, puisque seront jouées sa Première Symphonie, par Antonio Pappano à la tête du London Symphony Orchestra (lundi), la Cinquième dans une approche historiquement renseignée de Philipp von Steinaecker avec le Mahler Academy Orchestra (dimanche), enfin la Quatrième, ici reconsidérée à travers un nouveau prisme chambriste imaginé par Michael Jarrell.

Il y a cinq ans – le 25 mai 2019, exactement –, le pianiste français Bertrand Chamayou et le chef japonais Kazuki Yamada créaient, avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dans la grande salle juste à côté, Reflections. Plus que d’un second concerto pour piano et orchestre du compositeur suisse, il s’agit d’un écho prolongé de Reflets, mouvement d’un peu plus de dix minutes auquel avaient donné le jour Fabrizio Ventura et le Sinfonieorchester Münster, en janvier 2014 in loco, avec Nicolas Hodges en soliste. Tandis qu’à Paris avançaient les répétitions de Bérénice en vue de sa première au Palais Garnier [lire notre chronique du 29 septembre 2018], Jarrell apprit la disparition d’Éric Daubresse, réalisateur en informatique musicale qui œuvrait à l’Ircam, « un homme très recherché, d’une grande rigueur, d’un tempérament très doux et avec un sens éthique très fort » auquel il dédia Reflections. De version en version, Jarrell, après avoir livré une pièce s’architecturant en vingt-cinq minutes et trois mouvements pour vaste effectif, recourt à une formation plus modeste avec Reflections II pour piano et ensemble pour répondre à une commande de l’EIC. De cette page à l’infatigable tonicité, sans cesse rehaussée par les obstinations prestement répétées d’une écriture pianistique virtuose, voire redoutable, l’excellent Hideki Nagano offre une lecture fiévreuse et inspirée, aux côtés de ses camarades de l’EIC menés par Pierre Bleuse. La frénésie générale de cet opus tendu révèle une conception raffinée des timbres. D’une tendresse inouïe, le dépouillement de l’épisode médian l’affirme plus certainement encore, suspendant toute percussivité dans une fascinante errance méditative.

Après l’entracte, découvrons comment Michael Jarrell a réduit la Symphonie n°4 de Gustav Mahler pour l’ensemble, à la demande de Pierre Bleuse, qui « souhaitait absolument une réduction pour grand ensemble » (propos recueillis par David Christoffel, brochure de salle). Dès l’abord, nous retrouvons, étrangement, nos habitudes d’écoute, pourrait-on dire, quant à l’œuvre originale, ce qui surprend. « Il y a des traducteurs qui font du mot à mot et c’est souvent assez pauvre ; il y a ceux qui prennent tellement de liberté que l’on peine à retrouver le texte d’origine ; et il y a ceux qui sont entre ces deux manières et, à mon sens, les meilleurs traducteurs », poursuit le musicien (même source), donnant en quelque sorte la recette à laquelle il a soumis sa démarche de transcripteur. De fait, rien de choquant ni de saugrenu, on y croit vraiment, grâce, entre autres, à un effectif de cordes un peu plus conséquent que celui de l’EIC lui-même, mais à peine, qui permet d’assurer toutes les couleurs sans risquer un surlignage naturel trop lumineux de la petite harmonie. Pour Das himmlische Leben, le soprano Elsa Benoit, souvent applaudi dans le répertoire baroque, gagne le plateau [lire nos chroniques de Marta, Les Indes galantes, La favorite, Tannhäuser, Agrippina et Semele] – la soliste remplace Jodie Devos, qui nous quitta au printemps, et à la mémoire de laquelle est dédiée la soirée. Le Lied profite d’une rondeur de timbre qui s’y déploie idéalement, sans nuire pourtant à la clarté de la diction allemande, et de la musicalité évidente de l’artiste.

BB