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Chroniques
Cuore-Opera
opéra de Carlo Carcano
Traduit en vingt-cinq langues, adapté pour l'audiovisuel, Cuore est un livre culte de la littérature pour enfants en Italie. Edmondo De Amicis y évoque une année scolaire, celle de 1881-1882, et plus précisément la classe du narrateur Enrico Bottini à qui son père offrit un carnet relié afin qu'il y notât son quotidien. Lieu d'initiation aux violences mais aussi aux joies de la vie, l'École est d’abord un terrain où à l'époque s'affirmait l'unité nationale. En effet, après les guerres du Risorgimento, les diverses provinces et classes sociales enfin cohabitent ; l'enfant du Piémont peut donner l'accolade au petit Calabrais. À part ce trait historique qui explique les leçons d'héroïsme du placide professeur Perboni (Vincent Bouchot), cette classe, qui découvre le courage du petit Lombard face aux Autrichiens, possède son lot de bons élèves, de rebelles et d'enfants battus... comme partout ailleurs.
Paru en 1886, Cuore est presque inconnu en France.Réalisatrice du livret et de la mise en scène, Caroline Gautier le fait découvrir par le biais d'un opéra contemporain qui mêlés d'autres écrits de l'auteur : La maestrina degli operai (La petite maîtresse des ouvriers) et Amore e ginnastica (Amour et gymnastique). En incluant à ce monde d'enfants des histoires d'adultes, souvent érotiques, elle agit sagement, car outre d’éviter la monotonie d'un huis clos de classe, son livret aborde la question des cours du soir pour ouvriers, faisant de l'accès pour tous à la culture et à l'éducation le cœur du propos. À l'heure où les cours particuliers, déductibles des impôts, deviennent le substitut politique volontaire d’une institution républicaine exsangue, constatons l'opportunité de certaines réflexions, du coup l'intemporalité d'un tel sujet. Au centre du plateau – cour de récréation pour les uns, place du village pour les autres –, un arbre symbolise le lien social demeurant au fil des saisons, mais qu'un bûcheron risque un jour d'abîmer, comme le père de Precossi peut, à tout moment, jeter en coulisses le livre d'étude de son fils.
Le compositeur Carlo Carcano privilégie l'hétérogénéité des instruments. La clarinette, le trombone, le violon et la contrebasse de l'ensemble Ars Nova, en retrait derrière des cloisons évidées, sont mobiles et jouent quelques rôles plus ou moins muets. L'accordéon et la guitare électrique se font les doubles de la Maestrina et de Saltafinestra, son voyou d'amoureux ; ils réagissent en « improvisation guidée » à la tension qui existe entre eux. La percussion, enfin (à l'avant-scène), assure le commentaire en échos émotionnels (grincements métalliques, froissements de papier journal, etc.) de ce que découvre le public. Si certains enfants sont représentés par un instrument ou un leitmotiv, ils sont aussi producteurs de sons, puisque kazoos et harmonicas servent aux derniers de la classe les sympathiques couleurs du chahut. Coutumier des créations, Philippe Nahon fait tinter une clochette à l'occasion… quand il ne joue pas l'appariteur soupirant.
Suffisant dans son fauteuil paternel, pragmatique en tant que directeur d'école, le baryton Jean-Michel Sereni tient son double-rôle avec une voix tonique et nuancée. D'un soprano à l'aigu chaleureux, Cyrille Gerstenhaber incarne la jeune Maestrina aux états d'âme changeants. La chorégraphe et danseuse Barbara Jaquaniello s'en sort bien dans le personnage parlé du professeur de gymnastique.
Mais le plus gros du travail est assuré par une troupe d'enfants, élèves de l'École Nationale de Musique de Bourg-la-Reine|Sceaux. Jouant en alternance sur les huit représentations ayant lieu en Île-de-France, ces garçons d'âge différents s’illustrent admirablement, si ce ne sont parfois quelques soucis de projection du son, au cas par cas. Les passages de chœurs sont maîtrisés, ainsi que les bagarres chorégraphiées. Mention spéciale aux gamines qui, l'espace de la scène du petit ramoneur, déploient une puissance vocale, une générosité qui prouvent du sérieux de leur investissement dans cette digne entreprise.
LB