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Chroniques
cycle Gustav Mahler – épisode 5
Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch
La première partie de l’intégrale Mahler initiée par Alexandre Bloch avec son Orchestre national de Lille sur deux saisons se referme avec la célèbre Symphonie en ut # mineur n°5. Son ancrage dans le répertoire justifie sans doute une petite tournée de la phalange lilloise, avec pas moins de quatre dates, en un mini-marathon d’une semaine qui part de Dunkerque le lundi [photo], passe le lendemain par le Festival de Saint-Denis et le jeudi à Compiègne, dans le cadre du Festival des Forêts, avant de conclure ce soir au Nouveau Siècle, la maison de l’institution. De l’aveu même du chef, cette intense programmation permet aux musiciens, par-delà les effets éventuels de la fatigue, de parfaire la lecture.
Et de fait, cette Cinquième laisse deviner une précision croissante de l’interprétation. Elle témoigne également d’une bonification de la pâte sonore depuis le début du cycle. La marche funèbre augurale décline de saisissants contrastes de textures, sans compromettre la fluidité de la page. Le dessin des fanfares, comme des souvenirs tracés à la pointe sèche, affirme une remarquable économie, qui évite toute emphase, et met en évidence la subtilité et l’originalité d’une orchestration tournée vers une certaine modernité. Le deuxième mouvement confirme cette acuité des couleurs et des alchimies instrumentales. L’emportement quasi théâtral, signe çà et là perceptible d’une vitalité qu’on qualifierait à bon compte de juvénile, ne déséquilibre pas l’architecture de l’ensemble. Sens de la forme et tension expressive s’émulent de manière avisée.
Le Scherzo ne dément pas ces qualités. Un rubato habile et discret façonne un phrasé subtil qui tutoie parfois les confins du silence : le trio, qui s’ouvre sur une esquisse de valse oubliée, l’illustre avec une belle sensibilité. Le crescendo ne tarde pas à revenir en force, sans que les décibels altèrent la lisibilité du discours. Noté Sehr langsam (Très lent), le célèbre Adagietto ne s’engouffre pas dans les spasmes vénéneux que certains veulent parfois lui faire exhaler. L’homogénéité presque étale de la méditation lente ne verse pas pour autant dans une insignifiance sereine, et prépare, comme par contraste, le foisonnement du Rondo où s’épanouit l’intelligence aiguë d’une construction virtuose, superposant sur le kaléidoscope de variations une récapitulation qui métamorphose les motifs funèbres primitifs. Dans ce parachèvement de la grande arche de la symphonie se lit la richesse dramatique de l’inspiration mahlérienne, la complexe entropie de ses thèmes, autant qu’une anticipation du final de la Septième, coulé cependant dans un geste plus naturel, celui d’une conclusion heureuse – et amoureuse, dédiée à Alma – qui rappelle l’héroïsme beethovénien : sous son apparence extravertie, c’est une Ode à la joie de l’intime, aux accents panthéistes. Alexandre Bloch laisse affleurer cette condensation de références, sans freiner la fraîcheur de l’enthousiasme conclusif, dans une conjugaison entre spontanéité et connaissance approfondie de la partition qu’on attend de retrouver, à la rentrée, dans la suite d’un cycle qui ne manque pas de difficultés à affronter [lire nos chroniques des 2 et 28 février, du 3 avril et du 8 juin 2019].
GC