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Chroniques
cycle Ligeti | Mahler, concert 5
Pierre-Laurent Aimard
Poursuivant le grand cycle précédemment évoqué sur ces pages [lire notre chronique du 17 mai 2003], nous entendons ce soir Pierre-Laurent Aimard dans un récital entièrement consacréà la musique pour piano de György Ligeti.
La soirée est ouverte par la Musica Ricercata, série de onze pièces composée entre octobre 1951 et mars 1953, alors que l’auteur vivait encore à Budapest. À cette époque, à cause du contrôle de la vie musicale officielle de la Hongrie, il vit isolé des tendances esthétiques du reste de l’Europe. Il cherche des moyens exclusivement personnels (forcément) de s’affranchir du style post-bartókien qui était encore le sien. Les questions qu’il se pose – que peut-on faire d’une seule note, avec un seul intervalle, ou à partir de l’octave, ou en répétant indéfiniment une cellule rythmique, etc. – donneront naissance à cette œuvre. On pourrait parler d’une nudité qui, par certains côtés, n’est pas sans rejoindre celle de minimalistes d’outre-Atlantique du travail desquels il ne pourra prendre connaissance que bien plus tard. Toutes les notes du système tonal ne seront en présence que dans la dernière pièce du cycle qui attendra près de seize années pour être créée en Suède par Liisa Pohjala.
Aimard commence un peu « sur les chapeaux de roues », en force, nerveusement, de sorte que la première pièce manque de souffle. Mais dès après, le ravissement est total. L’indication Parlando du n°2 est scrupuleusement mise en pratique, avec une attention particulière à chaque son ; seule l’articulation de la pédale trahit un reste de tension inutile qui heureusement disparaît sur la suite. La sonorité presque voilée, infiniment travaillée, du n°3, surprend ; aussi s’agit-il de réussir un climat de mystère sur un Allegro. De même se souviendra-t-on d’un mémorable Lamentoso (n°5)orchestral, de pianississimi d’une invraisemblable précision (n°6), de réminiscences bartokiennes (n°7), d’un Adagio indiciblement méditatif (n°9) et du caractère recueilli de l’interprétation du n°11.
Est donnée ensuite la totalité des Études disponibles à ce jour, à savoir le Livre 1 et le Livre 2, ainsi que les quatre premières du Livre 3 qui devrait en compter huit au total, selon les déclarations du compositeur. Aimard y soigne avec minutie les contrastes, particulièrement pour les Touches bloquées. En général, on dira de ces Livres qu’ils tracent des chemins nettement différents. Si la première série est très diversifiée et peut pratiquement s’inscrire dans la démarche d’études tout en se voulant extrêmement musicale toujours, la deuxième est plus monolithique. Quelques pièces s’y répondent, de l’un à l’autre, comme cet air de famille constaté entre L’escalier du diable et lesCordes à vide, par exemple. Le troisième Livre retrouve le bonheur des commencements, avec un White on white héritier d’un Debussy élégiaque, Pour Irina méditatif et désolé qui surprend par l’imitation de sonorités de koto, et les deux pièces les plus récentes, À bout de souffle et Canon jouant principalement sur des effets de répétition jusqu’à la concentration en agrégats, avec des motifs précipités, « encapsulés », pourrait-on dire.
Au fil du concert, Pierre-Laurent Aimard acquiert une maîtrise parfaite de ses moyens, sachant user de son énergie là où il faut, emportant l’auditoire dans un vertige inégalable. Il serait maigre d’écrire de ce récital qu’il fut fort beau ; pourtant, que dire d’autre ? Que le public en liesse offre des oiseaux de Paradis au pianiste qui les dépose sur la partition de Ligeti auquel est ainsi rendu un hommage respectueux.
BB