Recherche
Chroniques
cycle Miroslav Srnka – épisode 5
récital du claveciniste Mahan Esfahani
La dernière journée du cycle DIALOGE que le Mozarteum concentre cette année sur l’œuvre de Srnka est ouverte par un récital hors du commun du claveciniste britannique d’origine iranienne Mahan Esfahani. Le voyage commence avec une improvisation sur un dialogue extrait de South Pole que le musicien tchèque présentait en janvier 2016 à Munich (Bayerische Staatsoper) – nous entendions hier soir No night no land no sky, étude orchestrale conçue en amont de l’opéra [lire notre chronique de la veille]. Les explorateurs Roald Amundsen (1872-1928) et Robert Falcon Scott (1868-1912) évoquent ce qui, de chez eux, leur manque dans leur expédition antarctique. Ainsi What do you miss from home ? renvoie-t-il aux couleurs de l’Europe lointaine, aux femmes, à la solitude, au vert des pelouses anglaises, sur fond de féroce rivalité scientifique, ce qu’Esfahani rend plutôt bien par une sorte de fausse vacuité conversationnelle, habitée en secret par cette tension particulière entre les deux hommes. À l’inverse, on trouvera bien sympathique le fait que le compositeur accepte sans sourciller (voire encourage ?) le détournement de son travail par un interprète inspiré.
Rappelons que Miroslav Srnka est né en 1975 à Prague où il fit ses études musicales avant de rejoindre l’Humboldt-Universität de Berlin et au CNSMD de Paris. Salué par de nombreux prix de composition (Gideon Klein en 2002, Leoš Janáček en 2004, Ernst von Siemens Musikstiftung 2009, etc.), il signe sa première contribution au théâtre lyrique par Wall (livret de Jonathan Safran Foer), créé à la Deutsche Staatsoper Unter den Linden en septembre 2005. En 2011, deux nouveaux ouvrages voient le jour : Make no noise à Munich [lire nos chroniques du 2 juillet 2011 et du 17 août 2016] et Jakub Flügelbunt …und Magdalena Rotenband oder: Wie tief ein Vogel singen kann à la Semperoper de Dresde. South Pole est donc sa quatrième percée dans l’opéra, qui connut cette année une seconde production au Staatstheater de Darmstadt.
La comédie en musique Les Pèlerins de la Mecque ou La rencontre imprévue de Gluck, créée à Vienne en 1764 en langue française, génère, sous les doigts de Mozart, Dix variations en sol majeur K.455 sur l’ariette « Unser dummer pöbel meint », encore fameuse en 1784 lorsque le clavier du Salzbourgeois s’en saisit par une démonstration assez lassante de virtuosité.
À l’heure actuelle, l’œuvre de Cornelius Cardew est quasiment oubliée, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. Improvisateur né, ce qui bluffait beaucoup Stockhausen dont il fut l’assistant à Cologne en 1958, cet Anglais (né en 1936 et mortellement fauché par un chauffard en décembre 1981) se démarqua rapidement de toute influence sérielle en se tournant vers les expérimentations de Cage. Outre se préoccuper de politique, au point d’être l’un des fondateurs du Revolutionary Communist Party of Britain, d’obédience marxiste-léniniste, Cardew s’interrogea sur la notation musicale, ce dont témoigne Treatise for any number of musicians with any instruments (1963-67), « partition graphique » de cent quatre-vingt-treize pages dont chacune est un event de trente secondes. Mahan Esfahani a choisi cinq extraits du recueil qu’il commence par montrer au public avant de les jouer. Le voilà siffler ou agiter une sonnette à l’aide du pied, tout en activant les doigts sur les touches, voire de manière percussive à l’intérieur du clavecin. Après un bref entracte, le récital est conclu par une interprétation fort souple des Variations Goldberg BWV 988 de Bach (ca.1740), articulée d’une respiration si personnelle qu’elle les fait redécouvrir.
BB