Chroniques

par bertrand bolognesi

cycle Piotr Tchaïkovski
Iouri Temirkanov et Denis Matsuev

Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 2 décembre 2007
Iouri Temirkanov dirige le cycle Tchaïkoski de la Philharmonie de St-Pétersbourg
© dr

Il y a quatorze ans, Iouri Temirkanov dirigeait un cycle Tchaïkovski à Paris. Depuis, on put souvent entendre le chef kabarde, rigoureux serviteur de la musique russe, qu'elle soit de Prokofiev ou de Chostakovitch, mais pas uniquement. Nous le retrouvons à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dont il est le patron depuis 1988, après avoir été celui du Mariinski (alors appelé Kirov), poste auquel Valery Gergiev lui succéda. Pour trois soirées, l'avenue Montaigne résonnera des dernières symphonies du compositeur oudmourte dont l'exécution se trouvera ponctuée par la version pour trompette de l'Opus 33, du poème Roméo et Juliette et des concerti pour violon et pour piano.

C'est au Concerto pour piano en si bémol majeur Op.23 n°1 qu’il revient d'ouvrir la cérémonie. Temirkanov en introduit les accords initiaux immédiatement dans le gras du son, comme sans attaque. Sous les doigts de Denis Matsuev, le premier mouvement gagne une opulence généreuse, dans une articulation souple, un souffle riche dont aucune brutalité jamais ne vient contrarier l'emphase semée des redoutables sissonnes que l'on sait. De même le geste orchestral s'affirme-t-il large et sans « ampoule », souligné par l'extrême précision des violoncelles, la couleur soigneusement choisie des cuivres, les pizz' solidement mafflus des contrebasses et l'absolue tendresse des bois. Le piano s'avère coloré, lui aussi, rehaussé d'un inventif travail de nuance. Si le tempo est volontiers mobile, ses emportements sont subtilement maîtrisés. La sonorité est puissante, la pâte impressionnante, mais le jeu sait se préserver de toute complaisance de ton. La grande cadence est frôlée par la grâce, rendue impossible par l'aigu raide et désuni d'un Steinway accusant l'éternel défaut de la firme. Il est dommage que l'omniprésence de ces instruments sur nos scènes puisse trahir les interprètes, car il paraît évident que Matsuev met le plus grand soin à fondre le registre dans l'unité générale… en vain.

Une flûte moelleuse montre la route à l'Andante central, et l'on ne s'étonne pas d'entendre soudain un piano quasi debussyste que ne contredira que l'espièglerie passagère du Prestissimo, pirouette joueuse qui ne chasse pas la gravité intrinsèque de l'œuvre. Car ici, rien n'est futile, comme continue de nous en convaincre l'ultime Allegro, étonnant flic-flac menant peu à peu au grand jeté virtuose.

Nous entendons ensuite une Symphonie en fa mineur Op.36 n°4 dont le premier mouvement saisit, malgré une hésitation des cuivres sur la salve initiale. La sonorité d'ensemble gagne rapidement une profondeur remarquable qui agit sur l'écoute sans recourir à quelque agressivité que ce soit. Les cordes chantent avec une élégance indicible, sans jamais forcer le trait, et contiennent bientôt la danse sans exalter plus avant son expression. Ainsi reste-t-elle dangereuse et secrète, comme le sont les pas anodins d'un certain bal chez Mme Larina. Plus encore, le chaloupé des vents en souligne la lourdeur de climat. Après des débordements apocalyptiques, le retour de la valse prend une saveur aigre-douce qui mène le final dans la touffeur d'une salle de jeu.

L'Andantino bénéficie d'un équilibre prudent qui profite des qualités de chaque pupitre, laissant grandir peu à peu un lyrisme s'inscrivant dans la préciosité d'échanges timbriques délicats. La redite du premier thème prend des atours d'« oblomovie » déclarée. C'est à un passionnant voyage dans le quintette à cordes qu'invite le Scherzo, gracieusement nuancé. Pour finir, Iouri Temirkanov conclut la fête dans une âpreté noire dont les aléas ne font pas déroger la régularité strictement observée de l'interprétation ; du coup, le rappel des salves entendues une demi-heure plus tôt perd ses grands airs. Sans atteindre le tragique d'un Mravinski, le chef livre les derniers accents de cette symphonie comme un aveu sans fards.

BB