Chroniques

par bertrand bolognesi

cycle Prokofiev de Valery Gergiev, concert 2
Concerto pour piano n°2 (Vladimir Fletsman), Symphonies n°2 et n°7

Salle Pleyel, Paris
- 14 octobre 2008
Symphonies n°2 et n°7 de Prokofiev par Valery Gergiev et le LSO, Salle Pleyel
© matt stuart

Poursuivant le moment de grâce que fut l’exécution de la Symphonie en mi bémol mineur Op.111 n°6 en clôture de la soirée précédente [lire notre chronique de la veille], celle de la Symphonie en ré mineur Op.40 n°2 (1924) initialise dans une rare perfection ce second rendez-vous du cycle qu’à la tête du London Symphony Orchestra Valery Gergiev dédie à Sergueï Prokofiev. Dans une inflexion âpre, même rugueuse, pourrait-on dire, Gergiev construit l'effervescence de l'Allegro par un noir tramage. Au plus fort du tutti, il fait percevoir le moindre détail, s'associant un pupitre de cuivres tout-à-fait honorable. Pour une fois, personne ne tousse, ni sur la musique ni entre les mouvements : voilà qui ne trompe pas. L'onctuosité contenue des cordes comme la tendresse du hautbois, bientôt développée dans le moelleux de la flûte, distillent les passionnantes variations qui s’ensuivent. Quelle hargne dans la scansion d'après, proche du Sacre du printemps dans le procédé (quoique diamétralement différente quant à la pensée musicale) !

L’élégance particulière perçue hier dans le Concerto pour violon n°2, on la retrouve cette fois dans le Concerto pour piano en sol mineur Op.16 n°2 que Prokofiev écrivit quatre ans plus tôt, en 1913, dans une langue cependant plus audacieuse – moins à l'aise avec le violon, il paraîtra facilement explicable qu'il n'ait pas autant risqué avec cet instrument. Vladimir Fletsman offre un piano d'une clarté absorbante, toujours raisonnablement opulent, d'une riche souplesse au service d'un art précis de la nuance. Valery Gergiev colore l'Andantino juste ce qu'il faut, sans surenchère. Si l'on a récemment pu se plaindre de pianistes volontiers démonstratifs, on saluera la noble intériorité d'un Vivace presque mystérieux, auquel succède le vaillant Intermezzo qui croise le fer d'Alexandre Nevski (cantate pour le film d'Eisenstein, 1938) ! Le chef en place ingénieusement les moments expressifs dans la lueur d'alliages timbriques élaborés, comme cetutti des cordes qu'on jurerait devenu voix humaine. Prudents dans les premiers pas du Finale, le soliste et la baguette livrent une conclusion à la musicalité supérieurement ciselée qui rappelle directement ces mots du musicien : « on a reproché à ma musique de rechercher l'effet et de multiplier les acrobaties, ce qui m'a conduit à lutter pour acquérir une plus grande profondeur dans le Deuxième Concerto ».

C'est affaibli par la maladie et les tracas idéologiques que Prokofiev composait son ultimeSymphonie en ut # mineur Op.131 n°7, en 1952, dans sa datcha de Nikolina Gora « qui semble un retour vers la jeunesse et l'enfance après les accents sombres et dramatiques de la Sixième Symphonie », nous dit Lemaire (inLe destin russe et la musique, Fayard, 2005). Aussi poursuit-il : « ainsi simplifiés, sujet et musique reçurent les éloges condescendants de Kabalevski et de Nestiev qui, venus donner à Prokofiev alité les résultats de l'audition préliminaire, décrétèrent que c'était la symphonie de la jeunesse soviétique ».

Rien d'étonnant à ce que Gergiev s'épanche dès le Moderato initial dans la profonde épaisseur d'un lyrisme néoromantique. Le mouvement suivant débride la danse dans l'onctuosité, laissant poindre sa puissante nostalgie dans l'Andante. Si l'exécution est exemplaire, l'œuvre, avec ses complaisants recours au pittoresque, semble tissée de fragments épars, et assez peu digne de son auteur, tel qu'en témoigne le Moderato conclusif. Prochains rendez-vous : mai 2009.

BB