Chroniques

par bruno serrou

cycle Schönberg|Beethoven
Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim

Piano**** / Salle Pleyel, Paris
- 6 février 2010
© dr

L’une des singularités les plus insupportables du public parisien est la façon systématique dont il encense ceux qu’il a brûlés quand ils travaillaient à Paris, une fois la consécration internationale venue. Ce n’est d’ailleurs pas ici que l’on parie sur l’avenir des artistes, loin s’en faut ! Mais il suffit que l’écho de la réussite à l’étranger revienne tel un boomerang pour que la résonnance soit centuplée en France, au point que d’aucuns se plaisent à verser une larme sur le bon vieux temps où ils exerçaient à Paris.

L’un des exemples les plus frappants est l’immense succès de Daniel Barenboim à chacun de ses passages dans la capitale. Celui qui fut quinze ans durant le directeur musical de l’Orchestre de Paris – où il fut, à ce titre, critiqué après l’usuelle période d’observation, et avant de travailler sur le projet de l’Opéra Bastille d’où il fut débarqué avant d’être nommé en 1992 à la Staatsoper de Berlin – est désormais l’un des musiciens les plus cotés à Paris.

Ainsi, les cinq concerti pour piano de Ludwig van Beethoven que Barenboim met en regard de trois partitions pour orchestre d’Arnold Schönberg dans le cadre de la série Piano**** attirent les foules à la Salle Pleyel, lesquelles n’entendent pas quitter le lieu sans quelque bis qui ne viennent jamais, le pianiste et chef d’orchestre tirant chaque fois, avec un sourire farceur, le premier violon de son Orchestre de la Staatskapelle de Berlin par la manche afin qu’il le suive dans les coulisses, ses cent collègues lui emboîtant le pas.

Depuis la fin des années soixante, Daniel Barenboim se plaît à diriger les concerti du clavier. Cela remonte au moins à la mémorable intégrale Mozart avec l’English Chambre Orchestra, enregistrée par EMI. Si l’on peut ne pas apprécier les chefs-pianistes qui conduisent tout en jouant, avec Barenboim le miracle opère systématiquement. Y compris dans la Fantaisie pour piano, chœur d’hommes et orchestre de Beethoven. Et si les deux premiers concerti du même Beethoven peuvent être encore dirigés du piano à l’instar de ceux de l’ère classique, c’est plus difficile et délicat pour les suivants.

Pourtant, ce soir où il donne dans la foulée les deuxième et troisième, il apparaît évident que ce sentiment tient de l’a priori, sinon du cliché. Si l’Opus 19 (1784) estd'un classicisme chatoyant, l’Opus 37 (1801-1802) survient tel un miracle. Sublime, et parfois très original, dirigeant avec chaleur et enthousiasme du clavier, Barenboïm, qui fréquente ces œuvres depuis plus d’un demi-siècle – on se souvient non sans émotion de sa première intégrale discographique avec Otto Klemperer – exalte des sonorités éblouissantes de son nuancier infini, donnant une interprétation d'une fraicheur et d'une luminosité extraordinaires de ce concerto, le plus abouti de la production beethovenienne pour clavier concertant.

En revanche, Barenboim n'est pas très à son aise avec les impressionnantes Variations pour orchestre Op.31 de Schönberg, particulièrement avec la mélodie de timbres. Mais si l’exécution en est moins convaincante, la générosité, l’élan du chef transcendent la mise en place et le manque d’assurance. Les musiciens de la Staatskapelle Berlin, l’orchestre de fosse de la Deutsche Staatsoper unter den Linden de Berlin, est aux Berliner Philharmoniker ce que la Bentley est à la Rolls Royce : son quasi alter ego.

BS