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Chroniques
Da gelo a gelo | Du gel au gel
opéra de Salvatore Sciarrino
Commandé et coproduit par l’Opéra national de Paris, le Schwetzinger Festspiele et le Grand Théâtre de Genève, Da gelo a gelo, le nouvel ouvrage lyrique de Salvatore Sciarrino, connaît ce soir sa première française au Palais Garnier. Pour ces « Cent scènes et soixante-cinq poèmes », le compositeur sicilien s’est inspiré du journal de la poétesse japonaise Izumi Shikibu (XIe siècle) qui conte ses propres amours avec le prince Atsumichi.
C’est assez naturellement que le langage musical de Sciarrino rencontre le non-dit des pudeurs obligées par le contexte difficile de cette relation, dérivant sur une histoire de réputations à laquelle se mêlent des questions de rang politico-divin à tenir. Avec l’emploi particulier des flûtes, de tout temps chères à l’auteur, « contaminant » de la mort spécifique de leurs souffles laissés pour épuisés, c’est l’ensemble du traitement instrumental qui se « japonise » subtilement, au-delà d’un exotisme anecdotique, puisqu’en ces respirations avortées résideront les nombreux abandons et retrouvailles, découragements de l’attente et halètements érotiques – peut-être évocation d’une certaine connotation de l’emploi du shakuhachi ? Ce souffle ne se limitera pas ici à l’imitation des hitayokiri ou yamatobuepar nos flûtes occidentales, mais gagnera jusqu’à la phraséologie des cordes et, bien entendu, des voix.
Par les artifices d’un débit extrêmement rapide et d’une prosodie largement inspirée d’une diction nippone, le compositeur parvient à déguiser la langue italienne qu’il leur donne, sauf s’il s’agit soudain de mettre en valeur telle phrase – ce Non è bella dont l’orchestre reprend exactement la mélodie, par exemple. Cette expressivité à la fois discrète et tendue, conduite par les périphéries sonores qui caractérisent l’esthétique de Sciarrino, mène le spectateur dans la prison d’une passion officiellement interdite et diplomatiquement tolérée, le laissant sur des présages de lassitude et de malheur.
Au service de cette création, on ne s’étonnera pas de rencontrer Trisha Brown. En 2002 déjà, la chorégraphe américaine imaginait le spectacle Geometry of Quiet à partir de deux pièces de Sciarrino (L'Orizzonte luminoso di Aton et Canzona di ringraziamento). La stylisation absolue de sa mise en scène se concentre avant tout sur les rencontres presque impossibles des corps, privilégiant la distance et le sans cesse différé où la présence des pages fait violence à la fragilité des cœurs.
À la tête de l’ensemble Klangforum Wien, Tito Ceccherini, en habitué de cet univers (cf. Luci mie traditrici), distribue délicatement chaque son. Sur scène, le baryton Otto Katzameier est un Prince à l’assise ferme, le compositeur accordant à ce personnage un lyrisme embryonnaire dont le chanteur se saisit avantageusement. La belle Izumi est incarnée par le chant coloré d’Anna Radziejewska, Cornelia Oncioiu, mezzo-soprano également, jouant à la fois sa suivante et la nourrice de l’amoureux. Si le ténor Felix Uehlein donne un Page d’Izumi assez inégal, on remarque la prestation irréprochable et la présence scénique idéale du Page du Prince, soit le contreténor Michael Hofmeister.
BB