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Chroniques
Dalibor
opéra de Bedřich Smetana
Bedřich Smetana (1824-1884) grandit dans une Bohême sous le joug autrichien, assistant puis participant à la naissance des poussées nationalesqui secouent l’Europe. Dans un pays où le tchèque fut associé à une ruralité analphabète, voire à une hérésie – au XVIIe siècle, les Jésuites brûlèrent des livres écrits dans cette langue –, on recherche désormais les racines profondes, spirituelles et intellectuelles du peuple, l’origine de ses traditions. Dès lors, d’un bout à l’autre du siècle smetanien, des événements marquants voient le jour tels la publication d’une grammaire tchèque par le philologue Josef Dobrovský (1809) et l’inauguration du Národní divadlo (Théâtre national tchèque de Prague, 1881).
C’est Libuše (1872) qui accompagne l’ouverture des portes de ce dernier, un opéra que Smetana écrivit en s’inspirant de la fondatrice légendaire de Prague. Auparavant, le musicien présenta dans la ville aux cent tours Les Brandebourgeois en Bohême (5 janvier 1866), La fiancée vendue (30 mai 1866) [lire nos chroniques du 19 octobre 2008, des 30 juin et 19 juillet 2019] et Dalibor (16 mai 1868). Cet ouvrage repose sur un livret en langue allemande de Josef Wenzig, traduit en tchèque par Ervín Špindler, qui décrit l’emprisonnement du chevalier Dalibor de Kozojed (?-1498) par le roi né Vladislav Jagellon (1456-1516) – une sanction abordée sous l’angle du conte car la vérité est moins glorieuse pour le condamné à mort. Les trois actes furent accueillis avec tiédeur, l’influence allemande ayant chagriné le public – procès, prison et amoureuse travestie rappelant inévitablement Fidelio (1814) et Lohengrin (1850).
En voici l’histoire. Après s’être plainte auprès du roi de l’assassinat de son frère, Milada voit arriver le chevalier Dalibor, enchaîné, qui ne cache pas avoir tué le burgrave de Ploškovice par représailles. En effet, ce dernier est responsable de la mort de Zdenek, musicien et ami de Dalibor. Troublé par la noblesse d’âme d’un homme qui n’hésite pas à menacer le roi, Milada s’éprend de lui et décide de se déguiser en jeune garçon pour l’approcher. Elle y parvient lorsque le gardien-chef de prison, qui l’a prise en affection pour sa maîtrise de la lyre, lui fait porter un violon consolateur à Dalibor. C’est alors l’aveu d’un amour réciproque, mais la tentative d’évasion qui va suivre sera fatale aux deux amants.
Présentée en mars 2020 là où elle vit le jour trois demi-siècles plus tôt, cette œuvre-phare du répertoire lyrique tchèque demeure une rareté en Europe de l’Ouest. Si la présente production mérite l’attention, c’est pourtant moins pour la mise en scène de Jiří Nekvasil, entre convention et dépouillement, que pour la direction sans faille de Jaroslav Kyzlink à la tête d’un orchestre maison aux cordes somptueuses – quelques membres en sont d’ailleurs invités sur scène (trompettes, harpes, violon).
La distribution alors réunie est également un grand atout. Les ténors s’y distinguent avantageusement : Michal Lehotský (rôle-titre), vaillant et brillant, ainsi que Jaroslav Březina (Vítek, un compagnon du précédent), dont maîtrise et nuance sont admirables. On savoure aussi la santé vocale d’Adam Plachetka (Vladislav) et de Jiří Brückler (Budivoj, commandant de la garde), les graves efficaces de Jiří Sulženko (le geôlier Beneš) et d’Ivo Hrachovec (un juge). Si Alžběta Poláčková (l’orpheline Jitka) fait apprécier son ampleur à mi-chemin, nul besoin d’un temps de chauffe pour Dana Burešová, dont la ligne bien tenue et la couleur tragique impressionnent d’emblée.
LB