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Chroniques
Daniel D’Adamo | La haine de la musique
TM+ dirigé par Laurent Cuniot
En ce qui nous concerne, La haine de la musique commence dans l’exaspération puisque, mis bout à bout, métro capricieux, parvis glissant de pluie et guichetier parti récupérer un spectateur lancé dans la mauvaise direction nous font louper les premières minutes du spectacle. Il finit dans le même état d’esprit puisque, la salle n’ayant pas édité assez de brochures, il fallut télécharger cette dernière au retour pour finalement se rendre compte qu’on n’avait pas assisté au spectacle présenté au festival Musica, le 9 octobre dernier, mais à sa version de concert… Pour le coup, le programme de saison était à la limite du mensonge en claironnant création.
« Oreilles, où est votre prépuce ? Oreilles, où sont vos paupières ? » En 1996, Pascal Quignard fait paraître La haine de la musique, texte qui rappelle combien l’homme est fragile face aux bruits alentours et qui explore les liens entretenus entre art sonore et souffrance. Il y parle de la corde de l’arc qui chante en libérant la flèche, des cadences rythmant les camps de concentration aussi bien que de l’apôtre Pierre regrettant le silence de sa barque de pêche, ou de l’invasion musicale actuelle jusque dans les piscines et les librairies.
Créateur d’Anima Urbana (Paris) qui témoignait déjà du tourment citadin [lire notre chronique du 24 mars 2007], Daniel d’Adamo (né en 1966) fut sensible au propos de l’écrivain, mais aussi à la subtilité de son rythme. « La forme de l’essai est bâtie avec des parties souvent brèves, traitant de sujets qui reviennent systématiquement, analyse-t-il. Les images ressurgissent alors comme un fredon qu’on oublie, mais qui est toujours là, lancinant. Quignard crée alors un réseau de sujets dans les sujets, de thèmes dans les thèmes, de voies qui circulent simultanément et par échos ».
Prononcés par Lionel Monier à l’avant d’une scène aux proportions singulièrement réduites, les mots retenus par le compositeur et le metteur en scène Christian Gangneron proposent des allers-retours entre Histoire et mythologie (La Bible, l’Iliade, la légende occitane de Jan de l’Ors, etc.). Derrière le comédien, Laurent Cuniot et dix musiciens de TM+ servent une partition contrastée (paysage méridien délicat, cacophonie d’Holocauste), à laquelle le métal donne du relief : une plaque figure le tonnerre, une trompette suraiguë annonce les Sirènes tandis qu’un raclement de cymbale dépeint la chute d’une plume dans la neige.
La parole nue s’accompagne difficilement de musique – ici dans « un jeu permanent de présence et d’éloignement », souhaité par D’Adamo – ; elles sont alors en lutte. C’est le principal reproche que nous ferons à un spectacle amputé de son aspect visuel et encombré d’un dispositif électro-acoustique peu mémorable. Cependant, un passage nous a ravi par son intensité : la naissance de l’art visible et invisible dans un monde d’avant la parole, dans des grottes résonnantes aux parois décorées.
LB