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Chroniques
Daniel Reuss joue la Messe en si mineur
Akademie für Alte Musik Berlin et Cappella Amsterdam
La Messe en si mineur de Johann Sebastian Bach constitue le plus attendu des concerts de la seconde journée des onzièmes Rencontres musicales de Vézelay. Il se joue d'ailleurs à guichet fermé. Cette messe est l'œuvre de toute une vie, un monument musical qui, tel un phare, guide le voyageur vers les confins de la conscience comme de l'inconscient, vers ce moment ultime où l'homme s'abandonne au néant et à l'éternité. Pour cette deuxième soirée, la Cappella Amsterdam et l'Akademie für Alte Musik Berlin en offrent une nouvelle lecture.
La Messe en si n'entre pas dans le simple cadre d'une liturgie ; elle n'est d'ailleurs pas vraiment catholique sans qu’elle soit cependant luthérienne. Elle est le fruit d'une longue maturation – assemblés et remaniés, on y croise des mouvements de plusieurs cantates avec quelques pièces originales, comme l'angoissant Et expecto qui conclut le Confiteor – dont la puissance incantatoire et l’intense émotion font irradier un message d'une détermination quasi inébranlable. Les sentiments exprimés font le lot commun à toute l'humanité : espoir, besoin de ce réconfort qui permettrait d'aborder avec confiance la fin qui nous attend, mais également le doute qui saisit à l'instant où l'on s'y attend le moins. Bach la compose entre l'été 1748 et la fin de l'année 1749, alors qu’il perd progressivement la vue.
Protéiforme, cette page autorise beaucoup de choix interprétatifs.
Ceux de Daniel Reuss montrent avant tout le côté brillant et confiant, martelé avec une force de conviction capable d'effacer toutes les fêlures qui surgissent de peurs inavouées. Par son énergie, sa direction ne laisse que peu de place aux ombres, comme dans Confiteor donr les tempi retenus atténuent la si bouleversante tension dramatique de l’Et expecto. Total, l'engagement de la Capella Amsterdam saisit dès les premières mesures du Kyrie et va crescendo en un dynamisme flamboyant.
Le nombre restreint de solistes (quatre) installe pérennité, constance et persévérance, peut-êtreau détriment de la diversité des couleurs. Le soprano II dans le duetto du Christe eleison est remplacé par le contre-ténor : ce choix ne favorise guère l’élévation des voix en une torsade lumineuse, en une supplique extatique, mais invente une prière plus humaine.
Si sont charmants les timbres de Johannette Zomer (soprano) et de Maarten Engeltjes (alto), la première ne projette pas sa voix et le second n'est pas assez sombre pour l'ambiguïté de l'Agnus Dei – un ange plus romantique que baroque. À tous deux manque la part de sensualité doloriste, baroque et envoûtante qui fait de chaque homme un pêcheur en quête de la grâce. S'avérant plus à l'aise dans son second air, la basse Peter Harvey ne convainc pas dans celui avec cor. Quant au ténor Thomas Walker, il possède une certaine élégance.
L'Akademie für Alte Musik Berlin affiche une grande stabilité. Trompettes, cor, hautbois et flûtes s'affirment d'une saine justesse et enrichissent avec brio le discours solistique. Les premières rayonnent d'un éclat quasi divin, le cor d'une grande douceur tandis que flûtes et hautbois semblent porter un message d'une allégresse sans faille. Quant au premier violon Bernard Farck, il accompagne d'une virtuosité poétique et céleste le soprano du Laudamus Te.
Cette interprétation de la Messe en si éclaire l'universalité d'une quête de paix éternelle au terme de la vie. Grandiose, elle renonce à la méditation. Au fond, le concert de l'après-midi, où l'ensembleVox luminis donnait d'un programme de musique baroque romaine une exécution enivrante à la sensualité extatique, éclairait déjà cette voie qui mène au ravissement, libérant de toute peur et offrant une tendre félicité.
MP