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Chroniques
Daniil Trifonov et le Quatuor Pavel Haas
œuvres de Chostakovitch et Dvořák
Ce programme russo-tchèque n’aurait pas attiré tant le public si le pianiste Daniil Trifonov, jeune star classique récemment propulsée sur la scène internationale et dont le dernier récital au Carnegie Hall vient de sortir chez Deutsche Grammophon, n’était venu prêter main forte au Quatuor Pavel Haas.
La première partie de la soirée débute par le Quatuor en ut majeur Op.49 n°1 de Dmitri Chostakovitch [photo], écrit en 1938 alors que le régime soviétique et Staline lui-même avaient déjà commencé les pressions sur les compositeurs pour leur imposer un langage plus « populaire ». Considérée comme « gaie » par son auteur, cette œuvre est pourtant déjà tendue, mais cette tension surprenante montre surtout le jeu crispé des artistes : les premières notes laissent entendre un léger décalage entre les deux violons et une exécution très appuyée dont le manque de respiration semble vite plus contraint que choisi. Seul l’altiste Pavel Nikl tire son épingle du jeu en restant plus libre et plus précis que ses confrères.
L’idée de coupler à ce programme russe le célèbre Quatuor en mi bémol majeur Op.51 n°10 d’Antonín Dvořák paraît quelque peu saugrenue. Il est dommage de ne pas avoir proposé un plus rare quatuor de Smetana ou de n’être pas resté dans la période stalinienne avec une page de Prokofiev ou Mossolov, par exemple. L’impression de crispation de l’interprétation disparaît au début du premier mouvement où la couleur instrumentale s’éclaircit. L'effet est de courte durée et revient malheureusement assez rapidement à un jeu général retenu dont le violoncelle se démarque en compensant un archet confus par une bonne liberté dans le phrasé. Là encore, l’alto prend un large ascendant sur les autres musiciens, surtout lorsqu’il récupère le thème de basse continue au second mouvement.
Le Quintette avec piano en sol mineur Op.57 de Chostakovitch permet heureusement de découvrir un tout autre prodige, et nous passerons sur l’approche brouillonne et toujours retenue des Haas, ainsi que sur Veronika Jaruskova, premier violon à l’expressivité engagée mais à l’aigu trop raide, car tout s’éclaire à l’entrée du pianiste. Tout sonne avec plus de beauté et semble plus élémentaire, le quatuor respire et gagne en ampleur et en profondeur. Le jeu de Trifonov ne cache pas une École de Moscou bien ancrée dans le toucher, mais on sent rapidement que la frappe s’est adoucie en passant par le Cleveland Institute of Music, au point de croire entendre parfois un son ressemblant à celui de Kissin et, un instant plus tard, une lecture proche d’un Bronfman, le tout sans rupture brutale et dans une grande maîtrise de doigté.
En guise de bis, l’extrait de l’Intermezzo conclut avec dynamisme ce concert dans lequel nous n’avons pas croisé de lecture « de référence » d’un quintette tant marquée par le Quatuor Borodine et Sviatoslav Richter – pensons à leur version au Conservatoire de Moscou, le 5 décembre 1983, par exemple [écouter] –, mais qui aura permis d’entendre un pianiste déjà très important, qu’il faudra suivre dans les années à venir.
VG