Chroniques

par bruno serrou

dans les ors du Palais Garnier
György et Márta Kurtág, musikFabrik, Chœur de la Philharmonie de Cluj

Festival d’Automne à Paris / Opéra national de Paris, Palais Garnier
- 2 novembre 2010
© dr

Curieuse impression à l’entrée de cette salle aux couleurs d’un autre temps, rouge écarlate et or flamboyant, pour un concert de musique contemporaine aux contours austères. Le décalage s’est avéré saisissant… Le public du Festival d’Automne, qui compte cependant autant de snobs en goguette que de mélomanes furieusement épris de création, semble un rien déplacé dans ce théâtre qui reste l’un des rares lieux parisiens où l’on croise encore smokings et robes longues sans que ceux-ci paraissent déplacés. Le décalage se fait plus saisissant encore lorsqu’apparaître sur le plateau surchargé d’instruments à percussion un petit couple courbé par l’âge, émouvant, se tenant tendrement main dans la main, accoutré de vêtements usés, saluant avec difficulté, un doux sourire aux lèves, avant de s’asseoir, dos au public, devant le clavier d’un piano droit sur lequel ils posent non sans mal un certain nombre de partitions.

Ce concert monographique consacré au compositeur hongrois György Kurtág (né en 1926) s’ouvre sur des extraits de Játékok (Jeux) pour quatre mains sur piano droit – ce soir, un beau Boston conçu par Steinway, avec super-sourdine et sonorisation –, réunissant transcriptions (Bach, Bartók, Schnittke) et courtes pages originales de Kurtág, peu représentatives en vérité du style du compositeur, malgré leur caractère intime, mais attendrissantes ainsi jouées par le couple en personne, György et Márta.

En revanche, la seconde partie du programme impose l’autre facette du musicien, celle du grand compositeur digne de son compatriote et contemporain György Ligeti, quoique fort différent, d’une force créatrice impressionnante lorsqu’il s’agit de mettre en musique de grands textes. La dense et polymorphe Colinda-Balada Op.46 (2006-2008) pour deux chœurs mixtes, ténor solo et ensemble instrumental, sur un texte de la Nativité collecté par Bartók en 1913, présente une instrumentation originale (alto, violoncelle, clarinette, clarinette basse, cor, trompette, trombone et percussion) qui lui donnant un élan à la fois jubilatoire et feutré.

Dernière pièce du programme, Quatre poèmes d'Anna Akhmatova Op.41 pour soprano et ensemble (1997-2008), écrit sur des vers de la poétesse russe victime de la dictature stalinienne. Cette partition douloureuse pour flûte, hautbois, deux clarinettes, deux cors, deux trompettes, deux trombones, cymbalum, harpe, célesta, piano droit, violon, contrebasse et percussion (dont deux sirènes et machine à vent) est d’une richesse et d’une profondeur exceptionnelles, une œuvre de dimension et de portée comparables à Messages de Feu Mademoiselle Troussova Op.17 que Kurtág composa en 1982 et qui font de lui l'un des plus grands musiciens de notre temps. Interprétation idéale de ces pages par le soprano russe Natalia Zagorinskaïa, le ténor roumain Ovidiu Daniel, le Chœur de la Philharmonie de Cluj, ancienne ville hongroise aujourd'hui roumaine où naquit Ligeti, et l’ensemble musikFabrik de Cologne, dirigés par le Transylvanien Cornel Groza, chef de la formation chorale précitée, chantant ici dans son jardin, sous le regard tendrement attentif du compositeur et de son épouse.

BS