Chroniques

par gilles charlassier

Daral Shaga
opéra de Kris Defoort

Opéra de Rouen Haute-Normandie / Théâtre des arts
- 6 novembre 2015
à l'Opéra de Rouen : Daral Shaga, opéra polémique du Belge Kris Defoort
© dr

Il est différentes manières de juger d'une création lyrique. On pourrait aborder le Daral Shaga de Kris Defoort, créé en septembre 2014 à Limoges et présenté à l'Opéra de Rouen Haute-Normandie en ce début novembre, sous l'angle du format. À cette aune, la programmatique association avec les arts du cirque et de ce qui se présente comme du « théâtre-cinéma » lui donne une aura d'originalité que l'on peut lire dans le contrepoint des acrobaties davantage, peut-être, que dans la macroscopie d'un écran dupliquant la réalité scénique – due à Giacinto Caponio, la vidéo rehausse ainsi le travail collectif de Philippe de Coen, Bruno Renson et Fabrice Murgia, ce dernier réglant également la direction d'acteurs –, procédé déjà éprouvé par plus d'une scénographie. Les sauts et rebonds d'ailleurs affirment une certaine homogénéité symbolique avec le vécu des migrants, sur le départ comme sur le retour.

La thématique, à l'empreinte politique évidente, peut également s'apprécier comme une audace dans le champ parfois aseptisé de l'intellectualisme supposé de l'opéra contemporain. Il n'en faudrait pas pour autant céder à une démagogie que l'écriture résolument tonale de Kris Defoort ne manquerait guère de suggérer à certaines oreilles. Le balancement lancinant des thèmes n'évacue pas nécessairement cette facilité, mais imprime une consistance formelle qui, après quelques difficultés à s'établir, livre sa vérité – et le meilleur d'elle-même – dans l'ultime séquence où les mélopées d'espérance se mêlent à la nostalgie de la terre perdue, résumant le croisement des destins de Nadra et son père avec l'apostat en retour vers le pays natal. Déclamé comme une conclusion à l'ouvrage, le nom du héros éponyme du drame rend superflu l'épilogue militant sur le sang neuf et vivant que les populations en exil représentent et insufflent à nos vieilles civilisations.

Au fond, Kris Defoort et Laurent Gaudé, le librettiste, réussissent le mieux quand ils ne cherchent pas à s'émanciper de la poétique narrative, rappelant la geste des récits antiques : le destin migratoire est abordé dans sa dimension humaine universelle, non dans son actualisation statistique abstraite ou sa polémique politique. C'est, au delà d'éventuelles divergences esthétiques, l'un des grands mérites de cette création nourrie d'une hétérogénéité assumée.

Ses acteurs, membres du chœur Silbersee placé sous la direction de Romain Bischoff, en font vivre la large palette des expressions vocales, de la déclamation aux mélismes. La Nadra de Michaela Riener forme avec Maciej Straburzyński, son père Daral Shaga, un « couple » pour lequel le public finit par éprouver une proximité familière, quand l'émigré de Tiemo Wang renvoie davantage à une certaine étrangeté exotique. Minimaliste (un trio : piano, violoncelle et clarinettes), l'effectif orchestral s'inscrit dans le dispositif général sans jamais perdre consistance.

GC