Chroniques

par bertrand bolognesi

Dardanus
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau

Oper, Bonn
- 22 avril 2004
Karoline Gruber signe la nouvelle production de Dardanus (Rameau) à Bonn
© thilo beu

Les livrets des ouvrages de Jean-Philippe Rameau ne sont pas tous des trésors, loin s’en faut. Ainsi celui de Dardanus, élucubration croquignolesque à prétexte antique qui, de travestissements en rebondissements, se termine dans la liesse générale et le triomphe de l’amour. À l’Opéra de Bonn, Karoline Gruber sut avec brio magnifier cette relative indigence en prenant une distance salutaire et imaginative avec chaque situation de cette tragédie lyrique. Sa mise en scène nous invite dans une sorte d’immense pavillon de chasse (décors de Bernhard Kleber), truffé de trophées reproduits à l’infini, jouant sur une esthétique de l’accumulation plutôt heureuse qui s’avère efficace, féconde et propice à l’humour. Le dispositif favorise un travail des lumières d’une grande saveur – Thomas Roscher et Friedel Grass.

Bien sûr, pour la plupart les personnages sont des chasseurs plutôt que des guerriers, dotés de charmants chapeaux à plumes, de guêtres et de culottes de peau à bretelles – costumes de Mechthild Seipel. Dans un monde de conventions, de règles et de serments, Dardanus fait figure d’adolescent auto-marginalisé, en jean et tee-shirt, qui n’hésite pas à se transformer, ici dans un sens tout à fait actuel, c’est-à-dire à prendre l’apparence d’une femme pour écouter les confidences d’Iphise qui l’aime et qu’il aime en secret. Ce soir, le magicien Isménor est une irrésistible grande blonde à lunettes de star, roucoulant d’une gracieuse voix de... basse ! – dans une robe fourreau pailletée.

Légère, la production sait ne pas vouloir représenter ce qui ne saurait se laisser montrer, de sorte que n’existe pas le monstre qu’Anténor et Dardanus combattent. Quoi penser, si ce n’est qu’un démon intérieur – en l’occurrence la jalousie d’Anténor – fait des ravages sur la côte phrygienne, bien plus sûrement que la peu probable colère de Neptune. Construisant un Anténor plein de principes et d’une rigueur exemplaire, la fidélité à sa parole – lorsqu’il renonce à la belle Iphise en faveur de l’homme qui lui sauva la vie, à la fin – revêt une crédibilité inattaquable. Enfin, cette vaste loufoquerie intelligente et inventive se pare de quelques coups de théâtre provoquant de généreux éclats de rire, comme l’apparition de Dardanus, l’explosion d’une gigantesque pièce montée autant piégée que crémeuse. Un grand bravo aux maîtres d’œuvre de cette réalisation qui fait passer une soirée délicieuse.

Au pupitre, Attilio Cremonesi dirige une lecture d’une belle vivacité, trouvant ressort et relief principalement dans le rythme. Sa pratique du clavecin le rend particulièrement sensible aux questions de dynamique. Son travail auprès de René Jacobs a aiguisé un indéniable sens du théâtre. De plus en plus présent sur la scène lyrique internationale (Bâle, Berlin, Curitiba, Innsbrück, Lausanne, Lucerne, Oslo, etc.), le plus souvent en Allemagne et en Suisse, le chef conduit ici le Beethoven Orchester – auquel il reste quelques efforts à fournir pour être pleinement satisfaisant (unissons de violoncelles approximatifs, etc.) – dans une version enlevée, sans blabla ni complaisance.

Sur le plateau, l’ensemble de la distribution sert l’œuvre, mais aussi les partis pris de mise en scène, avec un réel engagement, offrant un vrai moment de théâtre. En revanche, les voix demeurent inégales. Eric Laporte est un vaillant Dardanus dont le timbre parfois presque enfantin ne contrôle pas vraiment l’émission des aigus, souvent criés. On pourra mettre cette maladresse sur le compte d’une certaine fatigue vocale, évidente dans les deux derniers actes. La Vénus de Katrina Thurman est rarement audible et sa diction hypothétique.

En revanche, Andrej Telegin est un Isménor idéal au timbre corsé, merveilleusement sonore. Mark Morouse est un Teucer honorable. Anténor bénéficie de l’élégante diction, parfaitement intelligible, et du baryton velouté de Reuben Willcox qui livre une prestation d’une grande fiabilité. Enfin, bien qu’avec des débuts incertains, le soprano Sabine Ritterbusch présente une Iphise attachante, dotée d’aigus faciles et d’une belle ligne de chant. Toute la distribution chante dans un style belcantiste qui n’apparaît pas particulièrement indiqué pour la musique de Rameau, mais apporte une certaine unité.

BB