Chroniques

par bertrand bolognesi

Das klagende Lied par Esa-Pekka Salonen et l’Orchestre de Paris
Lilli Paasikivi, Melanie Diener, Jon Villars et Sergueï Leiferkus

Salle Pleyel, Paris
- 18 décembre 2008
Esa-Pekka Salonen joue Mahler à la tête de l'Orchestre de Paris (Pleyel, 2008)
© dr

En janvier 2004, l’Orchestre de Paris et son Chœur concluaient un hommage à Luciano Berio en créant son ultime œuvre achevée, Stanze, et en exécutant les deux mouvements que Gustav Mahler retint de son Klagende Lied de 1880 qui en comptait initialement trois. Christoph Eschenbach, incluant cette soirée dans un cycle dédié au compositeur, construisait alors une sonorité plus complexe à la formation qui lui était confiée quelques années plus tôt. Quatre ans plus tard, il ne fait aucun doute que le travail effectué porte durablement ses fruits, magnifié depuis que les musiciens ont quitté l’étroit Théâtre Mogador. Esa-Pekka Salonen rencontre un orchestre dont le souvenir récent favorise une interprétation d’une grande tenue. Vient s’ajouter la Légende de la forêt, prologue aux deux épisodes tragiques où un château s’effondre dans l’éclatement d’une vérité fratricide.

Le chef finlandais tisse progressivement cette Waldmärchen dont il tend peu à peu le climat. Par des couleurs rondes et soignées, les traits de bois et de cuivres retiennent l’écoute. L’Orchestre de Paris se montre dans une forme excellente, s’imposant par une exécution à la fois précise et inspirée dont l’urgence surprend. Salonen profite de chaque timbre tout en brossant énergiquement le mouvement, s’appuyant volontiers sur les instruments graves pour creuser plus profondément les fondations des parties chorales. Exacts, les artistes du Chœur de l’Orchestre de Paris (préparés par Didier Bouture et Geoffroy Jourdain) s’avèrent tant efficaces sur le tapis mystérieux des commencements que dans le bondissant élan épique, opposant jusqu’au flamboiement final les caractères dans une contagieuse inquiétude.

Si le ténor Jon Villars s’acquitte vaillamment de sa partie, de même que la couleur avantageusement cuivrée de Sergueï Leiferkus sert les interventions de basse (malgré quelques soucis de soutien dans l’aigu), le soprano Melanie Diener ne convainc pas. La voix se révèle chaleureuse, mais l’intonation n’est pas toujours nette. Les phrases effroyablement inchantables que Mahler réserva aux voix d’enfants rencontrent une réalisation honorable – deux garçons du Tölzer Knabenchor, dont nous nous garderons de détailler plus la prestation, ayant personnellement fait la désagréable expérience d’avoir à subir des invectives insultantes de la part de parents qui se proclament géniteurs de petits génies et, par là, génies intouchables eux-mêmes. On notera le stupéfiant contraste entrela précarité naturelle de ces voix et la massive puissance chorale, s’inscrivant dans un procédé comparable aux incises de coulisse de la troisième partie.

Indéniablement, la voix de la soirée est le mezzo Lilli Paasikivi, l’excellente Fricka d’Aix [lire notre critique DVD de Die Walküre]. Le timbre est attachant, la couleur riche, ce qui favorise une expressivité sans manière. À une conduite aisée du chant s’associe un art sensible de la nuance. Son recueillement ultime dans Was ist der König répond somptueusement à la poignante désolation d’O Wunder du mouvement médian.

Après Der Spielmann et ses airs de famille avec la Symphonie n°2, Esa-Pekka Salonen mène adroitement Hochzeitsstück (Noces) dans un relief vertigineux, faisant goûter, ainsi que nous le soulignions dans notre article sur l’interprétation de Vladimir Jurowski [lire notre critique DVD de ce concert], à quel point Mahler à vingt ans était déjà Mahler.

BB