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Chroniques
Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner
C’est avec autant de joie que de soulagement qu'on peut constater la pertinence des premiers pas de David McVicar dans cette fabuleuse aventure que constitue la conception d’un nouveau Ring. Si l’Écossais joue la carte de la mythologie, il ne néglige pas pour autant la crédibilité psychologique des situations, prenant la peine de revenir au texte de manière parfois presque littérale, ce qui détermine des choix sensibles et judicieux. Ainsi, la faiblesse des dieux privés des pommes d’or prend-elle une dimension omniprésente, révélant déjà l’imminence d’un crépuscule, mais aussi certains détails comme la danse grotesque par laquelle Loge réussit, par son ridicule même, à susciter pour le mieux perdre la sympathie d’Alberich.
Ce soir, les dieux stylisent un « japonisme » de science-fiction, un Loge tandoori hypnotise en agitant six bras indiens et les géants, grands escogriffes sur échasses, arborant des mains démesurées et un imposant masque en casquette, tiennent à la fois du doux bébé diabolique du Kingdom (Lars von Trier) et d’étranges figures échappées d’un Carnaval bâlois en visite à Tervuren. Simple, le dispositif scénographique de Rae Smith fonctionne parfaitement, opposant plusieurs matières : une sorte de toboggan suggère un métal poli à gauche, une toiture en biscotte plus épaisse, creusée de nombreux reliefs, à droite, surplombe une plateforme ondulée dont la luisance évoque la flaque d’eau, une opacité remarquable du fond de scène que percent régulièrement des vapeurs soufrées invente une profondeur infinie, enfin l’aspérité du bord du plateau qui plonge dans le Rhin. Lorsqu’on aura précisé que ces éléments prennent fabuleusement les savantes lumières de Paule Constable, que les métamorphoses d’Alberich en dragon – terrible hydre à cinq chefs – ou en crapaud font génialement illusion, le lecteur imaginera aisément la réussite de ce Rheingold et la hâte qui désormais nous habite de découvrir sa suite.
En revanche, le plus mystérieux demeure qu’on continue de confier la lourde responsabilité de conduire un Ring à certains chefs. Cette question de la direction de fosse nous vaut une longue hésitation, car il n’est guère amusant de dresser une liste de carences. Mais s’agissant d’un tel ouvrage, cet aspect est trop important pour qu’on le taise benoîtement. Avouons que le Rhin suit ici le cours métronomique d’un canal simplement administré, dépourvu d’aucune dynamique et plus encore de dramaturgie : Günter Neuhold dirige en scaphandrier une lecture qui patauge dans la vase.
C’est bien plutôt dans l’active complicité de la distribution vocale et de la mise en scène qu’opère le charme de ce Prologue. Certes, l’unité n’est pas parfaite, mais l’ensemble fonctionne. Alexandra Kloose prête un grain riche et un grave présent à Erda dont inquiète le vibrato, les Filles du Rhin – Sylvie Althaparro (Flosshilde), Susanne Reinhard (Wellgunde) et Cécile de Boever (Woglinde) – offrent une prestation avantageusement équilibrée, mais la Freia d’Ann Petersen reste anecdotique. En revanche, Hanne Fischer est une Fricka chaleureusement colorée dont la pâte vocale ne démérite pas. Côté messieurs, si l’on regrette le format trop confidentiel du Donner de Julian Tovey et un léger engorgement dans l’émission de Carsten Suess (Froh), on s’étonnera surtout du Fasolt éteint de Clive Bayley. Nous retrouvons avec plaisir le phrasé de Günther Groissböck en Fafner, ici plus à son aise qu’au Châtelet. Saluons l’efficace Mime de Colin Judson, d’une belle santé vocale, et l’excellent Loge de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke. Avec un bas-médium terne et un grave sans corps, Jason Howard peine à s’imposer en Wotan, tandis que le Kazakh Oleg Bryjak s’avère un Alberich d’une extrême vaillance.
BB