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Chroniques
Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner
Au nom de Richard Wagner la tradition associe certains lieux, le conscient et l’inconscient collectif ayant tracé la route entre le compositeur et Bayreuth, avec son théâtre rien qu’à lui sur la colline, ou encore l’opéra de Louis II à Munich, celui que dirigeait l’ami Liszt à Weimar, etc. Pour le public du XXIe siècle, Wagner c’est aussi le Budapesti Wagner-Napok, rendez-vous annuel de la fin du printemps dans la capitale hongroise où l’on connut de grands moments [lire nos chroniques des 12, 13, 14 et 15 juin 2014, des 8 et 22 juin 2013, du 3 juin 2012 et du 1er juin 2010]. Alors que nos colonnes débattaient récemment sur les deux sont projets berlinois de nouveaux Ring des Nibelungen [lire notre chronique du 17 avril 2017], à l’occasion de l’ultime reprise de celui de Götz Friedrich à la Deutsche Oper [lire nos chroniques des 13, 14 et 15 avril 2017], les équipes saxonnes préparaient les quatre soirées qui formeront l’édition 2017 des Wagner-Festtage des Oper Leipzig.
Il faut ne pas oublier que Wagner naquit à Leipzig où se tient aussi un festival, en fin de saison. L’année 2013 était marquée par le bicentenaire de cette naissance. Bien que dans ce cadre nous ayons alors vu Die Feen et Rienzi [lire nos chroniques des 24 et 25 mai 2013], c’est surtout l’extraordinaire aventure d’une nouvelle tétralogie qui occupa les forces vives de l’Augustusplatz, du côté opéra comme du côté Gewandhaus dont le prestigieux orchestre s’exprime également en fosse. Montées sur plusieurs saisons, les successives journées de ce Ring permirent bientôt une présentation en cycles complets. Ainsi gagnons-nous aujourd’hui le cœur musical de la cité pour découvrir le Rheingold de Rosamund Gilmore.
Dès le Prologue, la chorégraphe britannique invite une nature sauvagement féconde. Durant les premières mesures jouées rideau baissé, déjà l’on remarque quelques îlots de sable sur l’avant-scène où poussent des brins d’herbe libres. Lorsque la scène se révèle, des silhouettes en draps noirs se tortillent dans un bain thermal d’autrefois. Outre des herbes follettes dont les racines se sont fixées sur les corniches, le décor de Carl Friedrich Oberle montre des fissures, une usure générale qui indique l’état de semi-abandon du lieu. Le fleuve mythologique apparaît dans les reflets aquatiques sur le plafond et les murs, miroir d’un non-dit universel où, creusée dans la paroi de l’escalier, une niche abrite son fameux or. Sous la lumière de Michael Röger et dans les costumes de Nicola Reichert, la mise en scène joue adroitement avec le cliché, puisque les Rheintöchter ne siègent pas dans ce bassin où batifolent une dizaine de danseurs : par les deux hautes fenêtres des côtés, elles apparaissent à Alberich, créatures de gravures oniriques, assumées comme telles.
Durant l’interlude qui mènera chez les dieux, les silhouettes épongent l’eau du bac et apportent un mobilier emballé, comme en vue d’un déménagement – en effet, les maîtres aspirent à s’installer au Walhalla dont on pose la maquette là où se trouvait l’or du Rhin, dix minutes plus tôt : le nœud de l’argument est clairement désigné par ce geste. Lauriers et cape céleste caractérisent Wotan. Les géants arriveront par le prolongement inférieur de l’escalier, qu’on ne soupçonnait pas, arborant d’immenses hauts-de-forme, en opposition au chapeau-melon trop petit de Loge, roux clown malin. Dans leur colère, les constructeurs brisent la maquette, comme furent bafouées les modalités du contrat les liant aux dieux.
Survient alors une figure qui hantera tout ce Ring : corbeaux et béliers avancent par couples en demi-masques qui s’assemblent sur la longueur du visage lorsque les danseurs se rapprochent. De même que les oiseaux de Wotan partagent en symétrie leurs ailes noires, une parure d’épaisse laine unit les ovins de Fricka. La violence faite aux mineurs ne manque pas, ni la barbarie de ce dieu qui, du doigt du nain, arrache avec les dents l’anneau bientôt maudit. À nouveau il revient à la danse d’inventer le décor lui-même – ce qui était en partie le cas du Ring de Kriegenburg à Munich [lire nos chroniques des 13, 14 et 15 juillet 2013] : ainsi forment-ils tout naturellement les branches du pommier magique de Freia.
À la tête du Gewandhausorchester, Ulf Schirmer, directeur musical de la maison, mène une interprétation drue, concentrée, évitant le soufflé des trop grands effets. La fosse resplendit d’une maîtrise instrumentale remarquable dont le chef use avec un sens de l’équilibre parfaitement dosé. Notons la couleur personnelle de la petite harmonie, ainsi que la santé de ses cordes et la vigueur des percussions, qualités tellement importantes dans ces pages. Au final, les cuivres chantent !
Das Rheingold réunit un plateau vocal fort efficace. La saine complicité des trois Filles du Rhin conjugue des formats d’impédances compatibles, avec Sandra Fechner (Floßhilde), Eun Yee You (Woglinde) et Sandra Maxheimer (Wellgunde). Henriette Gödde ne démérite pas, mais sa couleur vocale n’est peut-être pas idéale à servir Erda, contrairement à la fraîcheur de Gal James, Freia délicieuse comme un bonbon, et à Karin Lovelius qui prête la majesté de son timbre à Fricka. À l’Alberich très contrasté et puissant de Jürgen Linn répond le Mime fort bien chantant de Dan Karlström, pas du tout caricatural. Des constructeurs, la préférence va au plus méchant, James Moellenhoff en Fafner robustement impacté. Bernhard Berchtold livre un Froh tout de douceur, et Thomas Mohr un Loge d’une luxueuse clarté. Enfin, Tuomas Pursio signe un Wotan tour à tour agressif et soyeux, d’une voix longue qui captive l’écoute.
Après ce bon début, il nous tarde d’en savoir un peu plus de ce Ring qui, sans se lover dans un classicisme rétrograde, semble se préserver de la tendance trash trop souvent adoptée.
BB