Chroniques

par katy oberlé

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Deutsche Staatsoper Unter den Linden, Berlin
- 29 octobre 2022
Nouveau RING (Wagner) à Berlin, signé Thielemann et Tcherniakov...
© monika rittershaus

Après celui de Stefan Herheim, créé en juin 2021 à la Deutsche Oper où nous l’avions commenté à l’automne dernier [lire nos chroniques des 9, 10, 12 et 14 novembre 2021], Berlin s’offre un nouveau Ring, cette fois signé par Dmitri Tcherniakov à la Deutsche Staatsoper. Quelques semaines à peine après la vision que Valentin Schwarz a réalisée pour le Bayreuther Festspiele [lire notre chronique du Ring des Nibelungen], découvrons donc ce qu’a bien pu faire du grand œuvre wagnérien le metteur en scène russe à l’inspiration souvent inégale [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Macbet, Khovantchina, Don Giovanni, Dialogues des carmélites, Wozzeck, La fiancée du Tsar, La traviata, Le prince Igor, La légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Févronie, Lulu, Rouslan et Lioudmila, Lady Macbeth de Mzensk, Parsifal, La fille de neige, Carmen, Les Troyens, Le conte du tsar Saltan et Sadko].

Tout commence par la vidéo d’Alexeï Polouboïarinov : voilà le spectateur propulsé dans un cerveau humain, exploré par un laboratoire dans le cadre d’expériences faites sur le comportement – le Rhin libère son flux au fil des constructions neuronales. Puis un décor très impressionnant se déploie, comme Tcherniakov sait les imaginer et les fabriquer. Sur plusieurs étages, un immense édifice comprenant salle de conférence, couloirs, boxes de recherche, hall d’ascenseur, etc., et dont les divers espaces se meuvent comme par magie.

Le centre E.S.C.H.E. nous accueille ! Esche, comme le frêne fondateur, bien sûr, mais également le E initial des mots Erfahrung et Experiment : expérience et expérimentation. Une élite de scientifiques règne sur ce Walhalla qui ressemble au foyer de marbre de l’Humboldt-Universität de Berlin, de l’autre côté de l’avenue Unter den Linden, longtemps situé en Allemagne de l’Est. Avec les costumes vintage d’Elena Zaytseva, l’action de la nouvelle Tétralogie est clairement datée dans les années quatre-vingt de la RDA – brushing solidifiés par la laque, hideux velours bleu et jaune, etc. Wotan ne porte pas de trace d’une blessure à l’œil et encore moins de lance pour asseoir son pouvoir. Les Filles du Rhin sont des chercheuses en blouse qui effectue une expérience psychomotrice sur Alberich. Celui-ci parvient finalement à leur échapper, avec l’or, soit le matériel électrique d’expérimentation grâce auquel il croit devenir le maître du monde. Au Nibelheim s’accumulent plusieurs rangées de cage avec des victimes animales – des lapins, principalement. Capturé, sans qu’on n’ait jamais vu de dragon ni de crapaud, Alberich est amené dans le bureau du patron où l’on fume copieusement tout en picolant des alcools forts. Un contrat entre Wotan et les géants est dûment dressé pour sauver Freia.

Rendus là, nous sommes incapables de nous avancer dans un avis sur la proposition de Tcherniakov qui, d’ailleurs, réserve ses cartouches pour les trois autres soirées. Une seule appréciation s’impose pourtant : tout cela a l’air bien rôdé, même si c’est franchement moche. Rien n’empêche d’espérer une utilisation du dispositif et peut-être même une évolution qui révèlera une pensée intéressante, en lieu et place d’une simple accumulation d’idées.

Pour le moment, le principal est ailleurs, à savoir dans la direction remarquable de Christian Thielemann, venu remplacer Daniel Barenboim souffrant. Autant l’avouer de suite : si la fatigue n’était pas venue empêcher celui-ci de mener le Ring prévu pour son quatre-vingtième anniversaire, je ne me serais pas déplacée, mais la venue de Thielemann à la rescousse est une aubaine ! Et dire qu’il s’apprêtait à partir en vacances lorsqu’on lui demanda de gagner la fosse de la Deutsche Staatsoper… À la tête de la merveilleuse Staatskapelle Berlin, le patron de Bayreuth a surpris par une lecture très lente dont la couleur formidablement romantique a directement plongé la salle dans le bonheur. Allons jusqu’au bout : c’est à la fosse qu’il est revenu de faire battre le cœur des auditeurs, quand la mise en scène, à elle seule, le laissait indifférent.

La distribution vocale n’est pas ce qui satisfait le mieux. Malgré un engagement dramatique indiscutable, Michael Volle ne paraît pas au mieux de sa forme en Wotan. Des nasalisations malvenues viennent ternir ses interventions et l’intonation n’est pas toujours stable. Il en va de même de Johannes Martin Kränzle, Alberich théâtralement très convaincant, mais beaucoup moins pour le chant, souvent fragmenté et respiré avec difficulté. En Loge, Rolando Villazón n’est guère idéal, lui non plus : si le timbre se prête au personnage, le peu de sûreté de la voix et, surtout, sa puissance trop limitée, n’en font pas une incarnation inoubliable. Il y a pourtant de meilleures surprises, au rang desquelles il faut compter la Fricka très musicale de Claudia Mahnke, toujours parfaitement juste et bien phrasée, ou encore le Mime claironnant de Stephan Rügamer dont on ne se lasse pas. Mentions spéciales à Lauri Vasar et à Mika Kares en attachant Donner et en Fasolt de luxe. À suivre…

KO