Chroniques

par bertrand bolognesi

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Magyar Állami Operaház, Budapest
- 4 novembre 2015
à Budapest, Géza Tóth met en scène Rheingold (Wagner) en heroic fantasy
© péter rákossy

Nouveau Ring à Budapest, non plus dans la cadre du Budapesti Wagner Napok (MUPA), cette fois, mais en saison, dans le beau théâtre d’Ybl, avenue Andrássy (1884) [lire notre chronique du 15 juin 2014]. Pour commencer, il s’agit d’un Rheingold donné en mars dernier et déjà repris, que signa le cinéaste Géza M. Tóth, également recteur de l’Université des arts dramatique et cinématographique hongroise, par ailleurs auteur de films d’animation.

De fait, l’indication précédente n’est pas anecdotique, à la mesure de l’envahissement vidéastique auquel il confronte le prologue de la Tétralogie. Avec la complicité d’une équipe de sept jeunes créateurs – Krizsanics Antonin, Doraya Bouandel, Miklós Gerdelics, Kristóf Jurik, Roland Kazi, Tibor Nagy et Péter Piros –, Tóth convoque l’heroic fantasy à travers des images sans cesse en mouvement, sur toute l’ouverture du cadre de scène, superposant parfois les écrans pour favoriser une plus grande profondeur à la projection. Ainsi précipite-t-il d’emblée le regard dans une sorte de vase blanchâtre, plancton qui bientôt génère des constellations, bouillonnement aquatique et stellaire où descendent les Filles du Rhin. Apparaissent peu à peu des lignes, des carrelages soudain fondus en gratte-ciels de cité financière. Omniprésent, ce travail visuel peut tour à tour souligner les intentions dramatiques, introduire quelque réflexion sur la portée philosophique de l’œuvre et tenir lieu de scénographie. Ainsi se construit une narration parallèle, très active durant les interludes, toujours parfaitement rythmée par la partition.

Rails, cargos, publicité, ville en surchauffe consommatrice, salles de jeu, supermarchés, quartiers entiers s’effondrant dans des myriades d’ordures, bref : tout ce que la richesse engendre de pauvreté, de malheur, de pollution, d’esclavage et de crime. La victime s’appelle Nibelheim, gouffre où l’œil s’enfouit et dont il doit ensuite s’élever vertigineusement vers un Walhalla design, dérisoire, où, sur un alpage en apesanteur – à la manière des rochers volants de Magritte (La clé de verre, Le château des Pyrénées, Autre pierre et nuage, etc.) et du Château dans le ciel de Miyazaki– flotte un module assimilable à la mesure du temps comme au fameux pommier magique. Dans ce grand tout, certains détails sont d’un effet directement pratique, comme l’ascenseur des géants, l’apparition remarquablement réussie du dragon, enfin la dislocation du système lors de la mutilation d’Alberich qui met en branle la malédiction, ou encore son absolue disparition quand le sol se dérobe sur la mise en garde d’Erda.

Encore cette enveloppe se complète-t-elle d’accessoires physiquement présents (bassin où le nain barbote lamentablement au début, table de jeu de rejetons divins, trône oriental où siège le despote au milieu du butin, les costumes flashy d’Ibolya Bárdosi n’étant pas les moindres (bleu, jaune et rose se répondent dans froufrous, perruques et popelines), mais aussi du jeu d’acteurs et sa nette caractérisation des personnages. Pour finir, le plateau est calmement colonisé par les caddies des chalants. À suivre…

Il nous fut donné à plusieurs reprises de le souligner : les théâtres et le public hongrois aiment Wagner et l’on possède ici les formats vocaux que convoque la musique du Saxon. Malgré un Wotan un peu éteint, le plaisir est grand à goûter ces voix. Sándor Egri donne un robuste Donner, le ténor clair de Zoltán Nyári est au service d’un Froh lumineux. Le trio des Rheintöchter fonctionne sans problème, tenu par Zita Váradi (Woglinde), Melinda Heiter (Flosshilde) et Krisztina Simon (Wellgunde très impactée). Bravo à Zoltán Megyesi pour son Mime jamais caricatural, fiable et, du coup, touchant [lire notre chronique parisienne du 9 juillet 2014]. De même l’alto Bernadett Fodor offre-t-elle à Erda couleur, stabilité et onctuosité. La souplesse de l’instrument de Bori Keszei nous vaut une Freia fulgurante. De son vaillant Loge István Kovácsházi soigne une ligne de chant élégante et un cuivre bien accroché (qualités qui sans doute le distinguent dans le répertoire italien). À l’autoritaire basse de Géza Gábor, Fafner solide apprécié en Fasolt l’an dernier [lire notre chronique du 12 juin 2014] répond le timbre aérien, idéalement amoureux, du Fasolt de Krisztián Cser, fort musical. On retrouve le grand mezzo-soprano Ildikó Komlósi dans une Fricka envoutante, somptueusement projetée [lire nos chroniques du 4 mars 2011 et du 28 mai 2004]. Enfin, au ferme baryton suédois Marcus Jupither est confié le rôle d’Alberich qu’il honore d’une émission sagement dosée, d’une endurance remarquable mais encore d’une incarnation volontiers truculente.

À la tête du Magyar Állami Operaház Zenekara dont il est le directeur musical depuis avril 2014, le jeune Péter Halász (né en 1976), récemment applaudi pour son Freischütz [lire notre chronique du 29 mai 2015], livre une lecture prudente de Rheingold où se révèle un pupitre de cuivres en bonne forme et des cordes singulièrement veloutées. Bilan ? La tentation est grande de revenir le 6 mars pour la première de Walküre (mêmes chef et metteur en scène, avec Judit Németh en Fricka, Linda Watson en Brünnhilde et le Wotan de Tomasz Konieczny, s’il vous plait) !

BB

Que s’est-il passé le 4 novembre 1956 ? Un saisissant lever de rideau le rappelle.
Il y eut exactement cinquante-neuf ans ce matin à trois heures commençait l’opération Циклоны : les chars soviétiques perçaient pour la seconde fois Budapest, accompagnés par l’aviation, réprimant, avec la brutalité que l’on sait, l’insurrection hongroise. D’une percutante brièveté (à l’inverse de la dictature kádárienne), le film montrant le pavage citadin d’où peu à peu sourd le sang fait sonner Beethoven à la mémoire des partisans d’alors