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Chroniques
Das verratene Meer | La mer trahie
opéra d’Hans Werner Henze
Célèbre avant vingt-cinq ans grâce à la publication de Confessions d’un masque (1949), Kimitake Hiraoka, alias Yukio Mishima (1925-1970), publie d’autre romans marquants avant d’aborder la tétralogie de ses dernières années, La mer de la fertilité (1965-1970). Parmi ceux-ci, mentionnons Le pavillon d’or (1956) et Le marin rejeté par la mer (1968) qui firent l’objet d’opéras créés à Berlin dans le dernier quart du XXe siècle, composés respectivement par Toshiro Mayuzumi (Der Tempelbrand, 1976) [lire notre chronique du 29 mars 2018] et par Hans Werner Henze (Das verratene Meer, 1990).
En quatorze scènes réparties en deux actes, le livret d’Hans-Ulrich Treichel reprend la trame du texte original. Fusako Kuroda, une veuve trentenaire, enferme chaque soir son fils de treize ans, Noboru, afin de le préserver de mauvaises fréquentations. Sans scrupules, l’adolescent espionne le coucher de sa mère par une ouverture secrète. Bientôt, ils font la connaissance de l’officier Ryuji Tsukazaki, à bord du navire qu’il leur fait visiter. Le garçon se vante de pouvoir approcher ce héros d'aujourd'hui avec lequel la jeune femme noue une relation amoureuse. Mais au fil des rencontres, Noburu cesse de l’idéaliser, voyant l’homme renier l’océan, épouser sa mère et même la seconder dans sa boutique de mode. Déçu, il décide sa mise à mort avec l’appui d’une bande d’amis obsédés par la domination des pères.
Par manque d’amour, de soutien ou de modèle, chacun des trois personnages ici réunis souffre à sa manière. C’est ce que rend à merveille la mise en scène confiée à Jossi Wieler et Sergio Morabito [lire nos chroniques des Nozze di Figaro, d’Il Vologeso, Erdbeben, Träume et Der Freischütz] par la Wiener Staatsoper, que nous découvrons quelques jours après le cinquantième anniversaire de la mort de Mishima. De manière subtile et admirable s’y mêlent réalisme et onirisme, artifice et naturel, enfin l’Orient et l’Occident. Phœnix (lumières) et Anna Viebrock (décors et costumes) contribuent également à rendre fascinante l’ambiance portuaire de cette tragédie moderne.
Par son soprano ample, sûr et lyrique, Vera-Lotte Böcker [lire nos chroniques des Bassarids à Salzbourg et à Berlin] impressionne dans le seul rôle féminin d’un ouvrage injustement ignoré, mais également Josh Lovell (Noburu), ténor sain et nuancé, au souffle long. Bo Skovhus (Ryuji) est le plus connu des barytons et barytons-basses réunis [lire nos chroniques de Tristan und Isolde, Don Giovanni, Die Meistersinger von Nürnberg, Lulu, Lear, Hamlet, Peer Gynt, De la maison des morts, Bérénice et Karl V, entre autres], sans éclipser les talents de demain : Erik Van Heyningen (Numéro Un), vaillant et charismatique, Stefan Astakhov (Numéro Quatre) et Martin Häßler (Numéro Cinq). Au milieu de toutes ces voix sombres Kangmin Justin Kim (Numéro Deux) se distingue avec sa haute-contre [lire notre chronique de Giulietta e Romeo]. En fosse à la tête de l’orchestre maison, Simone Young [lire nos chroniques de Palestrina, Dialogues des carmélites et Carmen] aborde l’ouvrage avec tonicité et contraste (Été), puis de façon plus intimiste, lorsque l’apaisement du désir laisse place au sentiments du cœur (Hiver).
LB