Chroniques

par bertrand bolognesi

David
oratorio de Francesco Bartolomeo Conti

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 11 octobre 2003

Un festival décidant de se consacrer à la musique de Vivaldi se doit de situer celle-ci dans son contexte. Aussi, le Complesso Barocco et Alan Curtis présentent-ils un oratorio aujourd’hui oublié d’un compositeur qu’avec une précautionneuse parcimonie qui semble n’avoir guère fait d’émules l’on recommence à jouer. Pour le Festival de Buxton, en 1987, dans une mise en scène de Michael Geliot, Anthony Hose exhumait Don Chisciotte della Mancia in Sierra Morena, ouvrage de Francesco Bartolomeo Conti, créé à Hambourg avec grand succès en 1722. Cinq ans plus tard, c’était au tour du metteur en scène Jean-Louis Jacopin de réaliser la production de ce Don Quichotte... dirigé par René Jacobsau Festival d’Innsbruck. Enfin, une version de concert en fut donnée au Liceu (Barcelone) en novembre dernier par l’Orchestre Baroque de l’Université de Salamanca, sous la direction de Wieland Kuijken. Le disque proposa récemment quelques rares parutions de sonates et de cantates, dont un fort beau récital de Bernarda Fink. C’est à peu près tout.

Né en 1681 à Florence, Conti fit une belle carrière de théorbiste qui le mena à la capitale des Habsbourg où il succèdera dès 1713 et pour une vingtaine d’années à Johann Joseph Fux au poste de Compositeur de chambre de Sa Majesté, en vertu de ses grands talents de compositeur, ou plus exactement grâce à un certain goût italien alors en vogue à la cour. L’on sait que les partitions de Vivaldi ne furent redécouvertes qu’au milieu des années vingt, qu’elles suscitèrent de rares exécutions publiques à partir de 1930, et que les mélomanes ne pourront découvrir cette musique que dans les années d’après-guerre. Le parallèle sera vite fait entre le sort des manuscrits vivaldiens et une renaissance des œuvres de Conti... si ce n’est que la musique de Conti n’est pas celle de Vivaldi !

Si sa facture s’apparente à celles de Hasse, Matheson et Jommelli, elle demeure tâcheronne, affichant des récitatifs quelconques, des airs gracieux et requérant une grande virtuosité, mais sans génie. C’est, en tout cas, ce que l’on conclut de la découverte de ce soir : David, oratorio écrit sur un livret du Vénitien devenu Viennois très en vue, Apostolo Zeno (dont Conti avait déjà mis en musique l’Alessandro in Sidone et l’Astarté et dont il retrouverait le style en 1725 en retravaillant le poème de la Griselda que Scarlatti avait illustré à Rome quatre ans plus tôt). Depuis sa création en 1724, nulle trace d’une seconde exécution. Si ce David présente peu d’intérêt musical, il permet de se rendre compte de ce qui avait l’assentiment des grands de ce monde lorsque Vivaldi atteignait l’âge mûr, et de mieux comprendre la disgrâce de ses dernières années. Il paraît dès lors évident que ceux qui acclamèrent de pauvres arrangeurs de procédés et recettes sans personnalité ne surent reconnaître le talent du vieux Prete rosso. Cela dit, il est également possible que ce David soit l’un des ouvrages les plus faibles de son auteur ; cette résurrection n’est donc pas suffisante à nous laisser préjuger de la veine d’une trentaine de partitions lyriques dont on espère qu’elles lui ressemblent peu (la plupart sur des livrets de lÉmilien Pietro Pariati, collaborateur de Zeno).

David bénéficie d’une distribution bien choisie, mais malheureusement incomplète.
On peut aisément imaginer ce que la soirée aurait pu être si Marijana Mijanovic n’avait été souffrante. Le mezzo Francisca Beaumont la remplace, sans que le temps lui aie permis de construire une véritable interprétation du rôle-titre, si bien qu’il faut couper la plupart des da capo et de longs récitatifs. Le personnage s’en trouve rendu secondaire, et la chanteuse, fragilisée par cette situation précipitée, ne dispose pas de l’ensemble de ses moyens pour servir au mieux ce qu’il reste de la partition.

À ses côtés, nous retrouvons Sonia Prina en général Abner, dans un engagement proche du jeu scénique – souvenez-vous de sa prestation dans Farnace à Bordeaux [lire notre chronique du 27 juin 2003]. Voilà indéniablement une nature théâtrale à laquelle cet emploi conviendra toujours bien mieux qu’une hymne ou un psaume, même si elle n’y est pas mauvaise, bien sûr. Saul est avantageusement chanté par le baryton Furio Zanasi qui affirme une bonne forme vocale avec un phrasé toujours bien mené, des graves d’une grande souplesse et une grande présence. Si Birgitte Christensen convainc peu en mièvre Gionata dont on ne comprend pas un traître mot, le plus irritant demeure la basse Vito Priante : la voix est énorme, le timbre plus qu’intéressant, ce jeune chanteur est indéniablement coiffé de très grandes possibilités, mais encore lui faudra-t-il un jour chanter – pour ce qui est de beugler… Chez lui nous admirerons l’aplomb avec lequel il entend défendre ce type d’ouvrage sans préoccupation de style, visiblement tout occupé à camper Iago à force d’effets déplacés, voire de grotesques mimiques. Enfin et surtout, l’épouse de Saul, Micol, est donnée par Simone Kermes, littéralement embrasée, qui offre de vocalises étonnantes, parfois un brin follettes, toujours merveilleusement réalisées.

Les musiciens du Complesso Barocco affirment de belles qualités. L’on apprécie particulièrement les interventions de Pierluigi Ciaparelli et Andrea Damiani aux théorbes (il va sans dire que Conti a fait la part belle à son instrument), du bassoniste François de Rudder et surtout de la contrebasse de Davide Nava, d’une fiabilité exemplaire et d’une vraie musicalité. Pourtant, de bons éléments, pour favorables qu’ils soient, ne suffisent pas à rendre excitante une exécution lorsque le chef reste scolaire et ne s’engage pas à défendre le drame parcouru par cet oratorio.

BB