Chroniques

par françois cavaillès

David et Jonathas
tragédie biblique de Marc-Antoine Charpentier

Théâtre de Caen
- 11 novembre 2023
David et Jonathas de Charpentier au Théâtre de Caen...
© philippe delval | théâtre de caen

Alléluia, père Bretonneau ! Pour son habileté de librettiste à romantiser un sujet biblique, rendons grâce au célèbre prédicateur François de Paule Bretonneau à l’heure où l’amateur d’opéra se recolle avec plaisir à David et Jonathas. Cet intermède lyrique en cinq actes de Marc-Antoine Charpentier fait l’objet d’une création au Théâtre de Caen, nouvelle tentative de moderniser l’histoire écrite au XVIIe siècle par un jésuite en vue du spectacle semestriel du collège Louis-le-Grand, à Paris. En 1688, il s’agit à l’origine d’un complément entrelardé dans une tragédie latine en cinq actes, Saül du père Charmillart, mais l’œuvre de Charpentier s’apprécie au delà du genre jusqu’à toucher au génie du phénomène anglais quasi-concomitant, Dido and Æneas de Purcell, conçu en 1689 pour un internat londonien.

Rideau baissé, l’Ouverture paraît ample, rapide et d’un contour bien tracé. Avec gourmandise, Sébastien Daucé fait tanguer les cordes, sitôt passée la délicieuse fugue d’inspiration italienne, assez étonnante. Le chef breton [lire nos chroniques du 1er septembre 2012, du 18 janvier 2013, du 16 juillet 2018 et du 3 juillet 2021] obtient de ses choristes et musiciens de l'ensemble Correspondances, actuellement en résidence à Caen, des interprétations conjuguant expression intense et rigueur stylistique. Et le metteur en scène Jean Bellorini [lire nos chroniques d’Orfeo et d’Erismena] ne manque en rien le fantastique, éclatant dans les incroyables habits de la Pythonisse, d’un possible Extrême-Orient futuriste, selon une ligne costumière entre Chine ancestrale et art contemporain qu’a distillée Fanny Brouste. Par cette irruption, le mezzo Lucile Richardot, trouvant vite en voix l’ascendant et la plénitude pour le rôle [lire nos chroniques de Rinaldo et d’Hamlet], fait disparaître le couloir d’hôpital élevé à mi-hauteur où se morfond régulièrement le pauvre Saül. Pour ces décors amovibles, saluons une grande performance scénographique de l’ingénieuse Véronique Chazal.

Autour de la sorcière aux coiffe et parure démentes, noyée dans un immense tissu rouge feu, l’onirisme prend toute la place. Les squelettes flottent et dansent auprès de la maîtresse du timbre, sous de grands éclairs, puis l’apparition spectrale de l’Ombre de Samuel bénéficie de l’admirable travail de Bellorini aux lumières. La basse Alex Rosen, également puissant Achis, y paraît d’autant plus merveilleuse [lire nos chroniques du 7 juillet 2019, des 6 juin et 15 juillet 2022, enfin du 31 mars 2023]. À peine cette vision évanouie dans la fumée blanche, revoici Saül, en personnage peut-être trop dégradé selon un étrange postulat (fou, amnésique, tout en cauchemars ?...), ici ému et vigoureux, comme les traits si vifs en fosse. À ses heures critiques de l’Acte III, c’est un chant de lion qu’offre le baryton-basse Jean-Christophe Lanièce [lire nos chroniques de Bohème, notre jeunesse, Ariadne auf Naxos, Platée et Johannes-Passion]. De même, à mesure que se noue l’intrigue, le baryton Étienne Bazola se montre-t-il tour à tour alerte, acide et alarmé en général Joabel.

Un prélude martial pour une mystérieuse armée de carnaval, présentée à contre-jour, puis le chœur, soprani très en verve et jusqu’à l’angélisme, comme dansant avec le velouté orchestral : ainsi s’avance le drame en son premier acte, d’un lyrisme expressif dans les formes comme les tons, sans routine ni affectation d’écriture. Les seconds rôles, tous excellents, apportent du relief aux solistes et, à l’opposé du pénible ou pitoyable Saül, brillent surtout les deux âmes sœurs. Ténor plutôt léger à l’émission facilement vibrante, Petr Nekoranec, avec panache, mêle au chant de David tristesse et bravoure, sans négliger la ferveur attendue à son air final. En Jonathas, le soprano Gwendoline Blondeel entre avec allant, autorité et des joyaux en voix comme à son torse les pierreries [lire nos chroniques d’Il palazzo incantato, Zoroastre, Titon et l’Aurore et Les Boréades]. Leur premier duo a tout le charme requis, avant que dans l’âpreté théâtral du III, selon une mise en scène plus représentative qu’illustrative, transparaisse le magnétisme de Jonathas qui atteint, aux grands airs très attendus des deux derniers actes, des sommets de simple poésie lyrique. C’est l’essentiel d’un spectacle généreux à tous les étages – au risque de confondre, dans un trop-plein de sensations, les masques de tulle bariolés – qui n’oublie pas les considérations religieuses et humanistes que devrait porter David et Jonathas aujourd’hui, sur sa terre encore marquée par la guerre. En collaboration originale, le dramaturge Wilfried N’Sondé a effectivement ajouté un personnage symbolique, la Reine des oubliés, voix modeste mais vraie aux côtés du sombre roi déchu.

FC