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Chroniques
de jeunes interprètes pour de grands hommages
œuvres d’Amy, Debussy, Gaussin, Guézec et Ligeti
Comme beaucoup de compositeurs, Olivier Messiaen avait besoin de s'éloigner de temps en temps des bruits de la ville pour, dans l'immensité de la nature, trouver le calme nécessaire à son activité créatrice. Après s'y être rendu pour la première fois dans les années cinquante, il fit du petit village de La Grave, situé dans le département des Hautes-Alpes et faisant face à l'imposant sommet de La Meije, son refuge de prédilection où, à la vue des neiges éternelles, pressentir l’au-delà auquel aspirait son œuvre. Après sa mort, l’endroit est presque devenu un lieu de pèlerinage pour les passionnés de son œuvre, ce dont témoigne le Festival Messiaen qui célèbre cette année sa quinzième édition.
Ouvrant l'espace à la création musicale (cette édition annonce trois créations mondiales), et aux nouvelles générations d'interprètes, à travers un fécond partenariat avec le CNSM de Paris et son récent Troisième cycle en Répertoire contemporain et création, le Festival Messiaen au pays de La Meije s'affirme comme un événement majeur. L'intention est aussi de souligner l'héritage laissé par cette personnalité artistique des plus importantes du siècle dernier. Ainsi le thème affiché pour 2012 est-il La classe de Messiaen au Conservatoire de Paris, à travers quinze concerts et de nombreuses conférences.
En cette cinquième journée du festival, deux concerts nous permettent de découvrir demagnifiques églises assidument fréquentées par Messiaen lui-même. Immortalisée par la photo de couverture du Livre d'orgue (prise par Yvonne Loriod), la petite – mais formidable ! – Église Saint Mathieu des Terrasses reçoit les étudiants du CNSM pour un concert de musique de chambre aux formations variables. Dans une ambiance détendue, Gilbert Amy, Michèle Reverdy, Paul Méfano et Allain Gaussin introduisent leurs propres œuvres. Toutes très différentes, ce qui témoigne de l'ouverture d'esprit du grand pédagogue que fut Messiaen, les pièces ici programmées sont splendidement exécutées par les jeunes musiciens. Nous retenons particulièrement la prestation du soprano portugais Raquel Camarinha [photo] dans La voix de la mémoire de Gaussin, chanté avec un naturel saisissant et une grande prestance. Interprété avec fougue par le surprenant violoniste Da-min Kim, l'élégante violoncelliste Marie Ythier et l’altiste Noémie Bialobroda, le Trio à cordes de Jean-Pierre Guézec, compositeur prématurément disparu en 1971, impressionne par ses belles textures et sa forme savamment articulée.
Plat de résistance du jour, le concert que donne plus tard le Quatuor Raphaël, en l'Église du Chazelet, s'avère tout aussi fascinant. Animé par l'énergie du premier violon, Pierre Fouchenneret, et efficacement équilibré par le jeu souple de l'altiste Arnaud Thorette, le jeune ensemble livre avec conviction trois œuvres représentatives de trois générations. En ouverture, le Quatuor en sol mineur Op.10 de Claude Debussy souffre cependant d'une certaine lourdeur. Le phrasé du premier mouvement est un peu raide et le violoncelle, extrêmement articulé, rend pâteuse la sonorité générale. Les quartettistes retrouvent ensuite la balance qui convient et offrent un Andantino remarquablement expressif.
Le Quatuor n°3 de Gilbert Amy [lire notre chronique du 15 novembre 2010] frappe par son équilibre formel. Une section centrale fuguée, hommage à la grande tradition de ce genre savant, est entourée de deux sections où une ligne mélodique désarticulée par un éclatement du registre crée des belles textures. Interprété avec bravoure et précision rythmique, non sans une touche d'humour ludique tout à fait propice à l'esprit de la partition, le Quatuor n°1 « Métamorphoses nocturnes » de György Ligeti ferme en beauté la soirée.
Ainsi se conclut un nouvel épisode de la quinzième édition du Festival Messiaen au Pays de la Meije qui se prolonge jusqu'à dimanche prochain. À l'intérieur de ces églises si chères au compositeur, interprètes et mélomanes partager leur amour commun pour la musique actuelle. Les sons, qui nous caressent fugacement puis s'envolent, semblent s'élever jusqu'aux majestueux sommets, solennels et silencieux, qui traversent l'éternité.
JP